Les mœurs se transforment après le premier conflit mondial : les femmes coupent leurs cheveux,
raccourcissent leurs robes, fument la cigarette, vont au cinéma, dansent le charleston.
Les autorités tentent de contrer le mouvement en invitant les associations féminines
à lutter contre l'immodestie. La plus importante de ces associations est la
Ligue féminine catholique, implantée en 1929 dans la majorité des paroisses.
Ce vieux couplet, repris périodiquement par les élites religieuses, connaît
donc, dans les années 1920, un nouveau regain. Mais les femmes ne sont pas toutes
obéissantes. Éva Circé-Côté
n'hésite pas à souligner l'hypocrisie qui se dissimule dans ces combats, et fait
même de la nouvelle mode une question de liberté individuelle. Nous avons
inséré ce texte dans cette section bien qu'il ne concerne pas, à proprement
parler, un droit social, parce qu'il est révélateur des comportements de transgression
dans la société québécoise.
Dix mille femmes se sont liguées contre l'indécence des modes, c'est-à-dire contre les jupes trop courtes et les corsages décolletés. Mais il est à remarquer que beaucoup parmi les apôtres de la nouvelle croisade ne portent pas plus la guimpe que la robe à traîne; d'autres n'ont guère l'âge de montrer leur peau. C'est toujours un mauvais principe que de s'insurger contre la liberté individuelle et de s'attaquer au pécheur plutôt qu'au péché. Etablissons d'abord que c'est mal de se vêtir d'étoffes transparentes et d'aller, comme dit la chanson, "légère et court vêtue", et qu'ainsi déshabillées les femmes sont plus immorales qu'au temps où comme des parapluies elles étaient moulées dans des tissus épais qui ne laissaient rien voir de leurs charmes, mais les moulaient discrètement [...].
Il y a dans le monde des tyrannies plus redoutables que celle de la mode et des maux plus grands que les robes décolletées. Il ne faut pas exagérer l'importance de ce caprice dont la durée est éphémère, parce qu'il repose sur une base bien fragile, ni donner consistance à ce qui est comme des nuages d'or ou de pourpre qui ne font que passer sur la face du soleil. [...]
Que l'on fasse une campagne discrète contre ce que l'on appelle un vice, que l'on tente par la persuasion de ramener les femmes à la pudeur d'antan, fort bien. Si l'on peut convaincre les femmes qu'elles sont plus jolies avec une robe qui les engaine jusqu'aux oreilles, la cause est gagnée. Mais il ne faut pas se le dissimuler. Le mal n'est pas celui que les mesures radicales peuvent atteindre et ce n'est pas en faisant du bruit, en secouant des cruches comme les soldats de Josué, qu'on convaincra l'ennemi.
Les modes d'aujourd'hui sont un symbole. Elles illustrent l'émancipation des femmes.
Après s'être débarrassées de toutes contraintes morales, elles ont voulu
se libérer de l'esclavage du corset. Elles ont trouvé logique, après avoir
brisé les entraves qui les rattachaient au passé, "désenfarger", d'avoir les mouvements aussi libres que leurs pensées et leurs aspirations. Comme toujours, les femmes sont extrémistes, elles tombent d'un excès dans un autre. D'ailleurs, le juste milieu n'est pas si facile que cela à obtenir. Au surplus, les femmes se corrigeront par elles-mêmes. [...]
Pendant qu'une conférencière de la ligue des femmes parlait dans un langage aussi suggestif
des toilettes de ces dames,
une jeune fille eut cette boutade : "Nous l'aurons bien assez vite le respect des hommes, quand nous
ne serons plus jeunes ni jolies". La jeunesse d'aujourd'hui n'a pas les yeux clairs pour rien. [...].
[Source : Julien Saint-Michel, The Labor World/Le Monde ouvrier, avril 1921, p. 1.]
REPÈRES : Une femme, une vie, un siècle, Musée canadien du costume