La première moitié du XXe siècle voit s'affirmer le droit de vote des femmes au Canada.
C'est en 1917 que les femmes
ont accès au suffrage fédéral. Tandis qu'en 1922 le droit de vote au niveau provincial
est étendu à toutes les provinces anglophones, le Québec ne l'accordera
qu'en 1940, après
une longue lutte menée par des féministes telles que Marie Gérin-Lajoie,
Thérèse Casgrain et Idola Saint-Jean.
Le 9 février
1922, une première réclamation pour le droit de vote des femmes est
présentée au Parlement. Ce sera le début d'une longue liste de défaites
du projet de loi sur le suffrage féminin.
Quoique présenté chaque année à partir de 1926, il sera battu chaque fois
jusqu'en 1940. Ce manifeste d'Idola Saint-Jean, qui a fondé l'Alliance canadienne pour le vote des femmes du Québec
en 1927, se situe dans ce contexte de revendications législatives. Même s'il
est radiodiffusé à la veille du vote de février 1931, la position d'Idola
Saint-Jean n'est pas entendue.
Mesdames, Messieurs,
Demain la Législature sera saisie pour la cinquième fois du projet de loi demandant le suffrage pour
les femmes de cette province. Demande juste et légitime qui, si elle est enfin accordée, placera
les femmes du Québec sur un pied d'égalité avec leurs sœurs des huit autres provinces du Canada.
Les femmes du Québec ont été les premières à la tâche et si l'un retourne aux premières pages de
notre histoire, on les voit travailler avec ardeur à l'œuvre admirable de colonisation. Dans toutes
les sphères de vie sociale, elles ont été les compagnes vaillantes des hommes, toujours à l'œuvre,
donnant le meilleur d'elles-mêmes pour construire un pays appelé à jouer un grand rôle dans l'histoire du monde.
Puissent nos législateurs quand ils seront appelés, demain, à donner un vote qui dira si oui ou non
nous devons être admises à participer à notre vie politique, se rappeler qu'en 1705, la première
manufacture de drap du Canada fut fondée grâce à l'initiative de Mme de Repentigny, qu'ils revoient
par le souvenir l'œuvre de Marie Rollet, la grande patronne de nos agriculteurs canadiens; c'est
Marie Rollet qui importe dans notre pays la première charrue, puis c'est une Jeanne Mance qui se constitue
le trésorier municipal de Ville-Marie et qui trouve l'argent nécessaire pour amener ici un régiment
chargé de défendre les colons contre les attaques désastreuses des Iroquois.
Fondatrices des premiers
hôpitaux, fondatrices des premières écoles, ne furent-elles pas, ces femmes, que nous avons la gloire
de nommer nos ancêtres, l'une ministre du commerce, les autres ministres de l'Assistance publique,
ministre de l'éducation et j'oserais dire, ministre des finances, remplissant ce poste de façon
à rendre des points à bon nombre d'hommes grâce à leurs qualités d'organisation et de science économique.
Aucun homme, témoin de ce que nos pionnières accomplissaient à l'aurore de notre histoire, ne leur
eut refusé l'accès au parlement, s'il en eut existé un, alors. Elles étaient consultées sur toutes
les questions, ces femmes intelligentes et sages et grâce à la coopération des hommes et des femmes
de cette époque nous jouissons aujourd'hui des progrès et du développement de notre Canada.
D'ailleurs, ce droit que nous réclamons, ne l'avons-nous pas possédé jusqu'en 1834? Et n’a-t-il pas été exercé
avec conscience et dignité?
Pour nous convaincre de la façon scrupuleuse avec laquelle nos grands-mères
accomplissaient leur devoir de votantes, il nous suffit de nous rappeler les paroles que prononçait la
mère de Louis-Joseph Papineau en déposant son bulletin de vote : "Je vote, dit-elle, pour Louis-Joseph
Papineau, mon fils, non parce qu'il est mon fils mais parce que je le crois qualifié pour représenter
dignement notre race". Voila de la politique intelligente et saine.
Nous n'avons pas démérité, il me
semble, Mesdames et Messieurs, on nous retrouve aujourd'hui dans tous les domaines de la charité et
du travail. Les conditions économiques nous jettent dans l'industrie, dans le commerce, dans
l'enseignement, en un mot dans toutes les sphères d'activité. Il nous faut travailler pour vivre,
alors, pourquoi sommes-nous condamnées à n'occuper que des places de subalternes? Pourquoi ne pas
nous permettre l'accès des professions et aussi celui des parlements où se fabriquent les lois
qui affectent la femme tout autant que l'homme? Pourquoi, je vous le demande, Messieurs, n'apporterions-nous
pas nos qualités d'éducatrices quand se discute une loi sur nos écoles? Pourquoi les mères
n'auraient-elles pas le droit de donner un vote quand la Chambre étudie une loi concernant le
bien-être de l'enfant, de la famille, etc. Ne sont-ce pas la des problèmes que la femme comprendra
toujours mieux que l'homme?
En toute sincérité, Messieurs, dites-nous, est-il des questions que
vos mères, vos épouses, vos filles ne peuvent pas comprendre, même si elles ont une instruction
très rudimentaire? Et dites-nous, dégagés de votre égoïsme, qui vous apporte moins de bonheur que
vous semblez le croire, dites-nous si vous seriez satisfaits si, un jour, la femme se proclamait
votre souverain arbitre, et se chargeait, comme vous le faites béatement depuis des siècles,
de vous dicter totalement votre ligne de conduite, se constituant l'unique juge de votre destinée.
Vous protesteriez à bon droit contre un tel état de choses, n'est-ce pas? Eh bien, vous inspirant
des paroles du souverain Maître, "Faites aux autres ce que vous voudriez qu'ils vous fassent".
Permettez-nous d'élire nos législateurs.
Nous sommes des êtres humains responsables, veuillez
nous traiter comme tels. Si une femme se rend coupable de quelque délit, vos lois la punissent,
ce n'est pas le mari qui monte à l'échafaud, c'est elle qui expie sa faute, alors ne vous semble-t-il
pas souverainement injuste qu'à côté de cela le code statue qu'une bonne mère, une bonne épouse
ne possède pas le droit de conclure une transaction sans avoir au préalable obtenu la signature
de son mari que celui-ci soit bon ou mauvais? Vous rendez-vous compte, que d'après votre loi une mère,
séparée de son mari a laquelle la cour a confié la garde de ses enfants, n'a même pas le droit de
consentir à leur mariage, que ce droit est réservé au père, même s'il est indigne de ce titre?
Sont-ce là des lois dignes d'un pays qui se prétend chrétien? Le bonheur de l'homme, disait, il y
a déjà longtemps le grand Victor Hugo, ne peut être composé des souffrances de la femme. L'égoïsme
est la cause de tous les maux dont souffre l'humanité. Contribuer à établir notre société sur des bases
de justice, c'est la meilleure façon de travailler à son bien-être. Songez aux grandes vérités
évangéliques, Messieurs nos Législateurs quand demain, on vous demandera l'accès des femmes dans
le domaine politique et le droit au libre travail, car le projet de loi pour l'admission des femmes
au barreau sera aussi discuté demain. Au lieu de nous traiter en rivales dangereuses, laissez-nous
devenir vos compagnes dans toutes les sphères d'activité.
Soyez fiers de nos aptitudes et
laissez-nous mettre nos talents au service de notre province. La fierté nationale de tous les cœurs
vraiment canadiens doit être flattée des succès remportés par les nôtres, qu'ils soient hommes ou
femmes. En 1914, l'Université McGill accordait le premier diplôme de droit a une Canadienne,
Mme Langstaff qui arrivait première en droit criminel et en droit de corporation, les deux matières
les plus difficiles de la faculté. Mlle Marthe Pelland décrochait l'an dernier la première place de
la faculté de médecine de l'Université de Montréal. Heureusement cette profession ne nous est pas
fermée. Combien d'autres femmes courageuses et brillantes ne pourrais-je pas citer ici. Nées dans une
autre province, ces femmes pourraient aspirer aux plus hautes situations, mais Québec les tient en
tutelle et il ne leur est pas permis de donner leur rendement à notre société.
Pensez à toutes ces
femmes, Messieurs, et que votre vote de demain soit libérateur. Dans l'intérêt de tous autant que
de toutes, ouvrez généreusement la porte de l'arène politique et professionnelle aux femmes qui
sauront rester dans la vie publique, comme elles le sont dans la vie privée, les dignes descendantes des
Jeanne Mance, des Marguerite Bourgeoys, des
Madeleine de Verchères et de tant d'autres qui ont
contribué au développement de notre pays. Puisque toutes les femmes d'œuvres et la légion des femmes
qui travaillent sont unanimes a réclamer leurs droits politiques et leur droit au libre travail
n'assumez pas plus longtemps, Messieurs, la responsabilité de les tenir au rancart de la vie politique
de leur province qu'elles aiment et au bien-être de laquelle elles veulent se dévouer.
Sources : Département d'histoire, Université d'Ottawa et
Bilan du siècle
REPÈRES
1911 : Arrestation de 223 suffragettes à Ottawa
1916 : Après l'adoption de la loi sur le vote des femmes au Manitoba
1917 : Adoption d'une loi fédérale accordant le droit de vote aux femmes
1921 : Fondation du Comité provincial pour le suffrage féminin
1922 : Manifestation de 400 femmes à Québec pour réclamer le suffrage féminin
1929 : Obtention du droit de vote aux élections municipales de Montréal
1929 : Création de la Ligue des droits de la femme
1929 : Rejet d'un projet loi concernant le suffrage féminin
1931 : Refus par l'Assemblée législative d'accorder le droit de vote aux femmes
1932 : Les femmes propriétaires de Montréal obtiennent le droit de vote
1934 : Refus par l'Assemblée législative de reconnaître le suffrage féminin
1940 : Parution d'une lettre du cardinal Villeneuve dénonçant le suffrage féminin
1940 : Les femmes obtiennent enfin le droit de vote aux élections provinciales