À   Q U I   L A   F A U T E  ?  (1955)

par Renée Geoffroy

L'arrivée massive des femmes sur le marché du travail pose le problème de leur syndicalisation. D'une part, les femmes sont peu portées à participer à la vie syndicale; d'autre part, les syndiqués ne sont pas très favorables au travail des femmes. Renée Geoffroy, journaliste spécialisée dans les questions ouvrières, expose ici quelques idées concernant la faible participation des femmes à la vie syndicale dans "Le Travail et la Vie syndicale", nom du journal de la CTCC (Confédération des travailleurs catholiques du Canada) de 1942 à 1964. Pourtant, les femmes ont toujours participé activement aux grèves qui les concernaient. Renée Geoffroy est l'une des premières à invoquer le processus de socialisation des femmes, qui ne les prépare pas à une vie d'action et de participation.


Le problème que pose la participation des femmes syndiquées, au mouvement, est vraiment d'une grande importance et pour la classe ouvrière en général et plus particulièrement pour le groupe considérable des travailleuses. Lors d'une rencontre, au dernier Congrès, les représentantes de plusieurs syndicats à majorité féminine en ont discuté. Elles se sont posé la question : à savoir ce qui empêche les femmes de participer plus activement à l'action syndicale, en acceptant des postes dans leurs syndicats? Les raisons et les préjugés peuvent être nombreux.

Le syndicalisme, c'est une affaire pour les hommes

Pourquoi? Surtout, peut-être parce que les femmes sentent que les hommes ne leur font pas confiance. Ces derniers accepteront assez facilement de confier de petites responsabilités à des syndiquées mais en réunions, en congrès, ils ne tiendront aucunement compte de la nécessité d'un apport féminin dans les discussions. Pour ne donner qu'un exemple : les Ecoles d'Action Ouvrière ont très peu tenu compte du recensement féminin. Le problème de la travailleuse a-t-il été sérieusement étudié, dans les cours, les journées d'étude et les programmes d'éducation syndicale?

Les syndiquées devraient pouvoir exprimer des opinions, apporter les expériences de leurs usines, sans le complexe qu'elles sont des femmes et que le syndicalisme n'est pas d'abord pour elles. D'abord, c'est faux, et cela les empêche de faire profiter les autres de leurs expériences.

Les hommes assument toutes les responsabilités, aussi bien les laisser faire et suivre

Ce n'est pas une obligation que toutes les tâches soit assumées par des hommes. Déjà plusieurs syndiquées l'ont compris. Mais les hommes ne sont pas entièrement responsables de cette inertie. Car, bien souvent si la travailleuse refuse une responsabilité dans son syndicat, c'est qu'elle croit que son stage à l'usine ne sera que temporaire. Elle se mariera et quittera l'usine. Tandis que l'homme est pris immédiatement par l'idée d'action syndicale, à cause de ses charges immédiates plus considérables, les femmes, elles, prennent plus de temps à comprendre et s'intégrer au mouvement.

2 mai 1952 : Déclenchement d'une grève chez Dupuis Frères à Montréal Une travailleuse disait l'autre jour : "Nous n'avons pas été habituées à une vie d'action. Ce n'est pas à l'école qu'on nous prépare et ensuite ça nous prend beaucoup de temps pour nous décider à agir". C'est vrai que l'école prépare bien mal les femmes à une vie d'action ou plus simplement à se débrouiller dans la vie. A l'école, on a peur de leur laisser une trop grande liberté, on craint de trop leur faire confiance. Et, comme résultat, une fois rendus à l'âge adulte, les enfants d'hier continuent d'avoir peur. Le problème est à peu près semblable pour les hommes, sauf qu'ils peuvent peut-être se départir plus facilement de leurs complexes et de leurs préjugés. Aussi ils s'intègrent beaucoup plus facilement à la vie active qui est leur vie normale.

Mais il n'y a aucune raison pour que les syndiquées n'essayent pas de se départir de leur peur de "ne pas bien faire" et n'acceptent pas d'être actives à l'intérieur du syndicalisme. Elles doivent avoir une grande confiance en elles-mêmes, car elles représentent une grande partie des travailleurs et c'est par elles que les véritables problèmes des travailleuses seront connus et que leurs droits seront revendiqués.

A plusieurs reprises les travailleuses syndiquées ont prouvé qu'elles étaient capables de compréhension et d'endurance tout autant sinon plus que les hommes. Pour n'en citer que deux, la grève de Dupuis et celle de la London Shirts, qui vient de se terminer après 110 jours d'attente, le prouvent surabondamment.

[Source : Le Travail et la Vie syndicale, 11 février 1955, p. 6.]

REPÈRES :
1919 : Déclenchement d'un premier conflit de travail dans les usines d'allumettes de la compagnie Eddy
1924 : Des centaines d'allumettières de Hull en lock-out pour conserver leur syndicat
1925 : Grève générale des ateliers de vêtements pour femmes de Montréal
1937 : Grève de 5.000 ouvrières de l'industrie du vêtement (avril) - Grève à la Dominion Textile (août) - L'organisation des travailleuses de la Dominion Textile
1937-1952 : Léa Roback et Madeleine Parent, pionnières du syndicalisme (Archives de Radio-Canada.ca)
1952 : Grève des employé-es de S. Rubin de Sherbrooke
1963 : Grève des infirmières de l'hôpital Sainte-Justine



© Éditions du remue-ménage, 2003

Édition Web et mise en ligne : Nicole Nepton, 1er octobre 2004
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