L'arrivée massive des femmes sur le marché du travail pose le problème de leur syndicalisation.
D'une part, les femmes sont peu portées à participer à la vie syndicale; d'autre part, les syndiqués
ne sont pas très favorables au travail des femmes. Renée Geoffroy, journaliste spécialisée dans
les questions ouvrières, expose ici quelques idées concernant la faible participation des femmes
à la vie syndicale dans "Le Travail et la Vie syndicale", nom du journal de la CTCC (Confédération
des travailleurs catholiques du Canada) de 1942 à 1964. Pourtant, les femmes ont toujours participé
activement aux grèves qui les concernaient. Renée Geoffroy est l'une des premières à invoquer
le processus de socialisation des femmes, qui ne les prépare pas à une vie d'action et de participation.
Le problème que pose la participation des femmes syndiquées, au mouvement, est vraiment d'une grande
importance et pour la classe ouvrière en général et plus particulièrement pour le groupe considérable
des travailleuses. Lors d'une rencontre, au dernier Congrès, les représentantes de plusieurs syndicats à majorité
féminine en ont discuté. Elles se sont posé la question : à savoir ce qui empêche les femmes
de participer plus activement à l'action syndicale, en acceptant des postes dans leurs syndicats?
Les raisons et les préjugés peuvent être nombreux.
Le syndicalisme, c'est une affaire pour les hommes
Pourquoi? Surtout, peut-être parce que les femmes sentent que les hommes ne leur font pas confiance.
Ces derniers accepteront assez facilement de confier de petites responsabilités à des syndiquées
mais en réunions, en congrès, ils ne tiendront aucunement compte de la nécessité d'un apport
féminin dans les discussions. Pour ne donner qu'un exemple : les Ecoles d'Action Ouvrière ont
très peu tenu compte du recensement féminin. Le problème de la travailleuse a-t-il été sérieusement
étudié, dans les cours, les journées d'étude et les programmes d'éducation syndicale?
Les syndiquées devraient pouvoir exprimer des opinions, apporter les expériences de leurs usines,
sans le complexe qu'elles sont des femmes et que le syndicalisme n'est pas d'abord pour elles.
D'abord, c'est faux, et cela les empêche de faire profiter les autres de leurs expériences.
Les hommes assument toutes les responsabilités, aussi bien les laisser faire et suivre
Ce n'est pas une obligation que toutes les tâches soit assumées par des hommes. Déjà plusieurs
syndiquées l'ont compris. Mais les hommes ne sont pas entièrement responsables de cette inertie.
Car, bien souvent si la travailleuse refuse une responsabilité dans son syndicat, c'est qu'elle
croit que son stage à l'usine ne sera que temporaire. Elle se mariera et quittera l'usine. Tandis
que l'homme est pris immédiatement par l'idée d'action syndicale, à cause de ses charges immédiates
plus considérables, les femmes, elles, prennent plus de temps à comprendre et s'intégrer au mouvement.
Une travailleuse disait l'autre jour : "Nous n'avons pas été habituées à
une vie d'action. Ce n'est pas à l'école qu'on nous prépare et ensuite
ça nous prend beaucoup de temps pour nous décider à agir".
C'est vrai que l'école prépare bien mal les femmes à une vie d'action ou plus simplement à se
débrouiller dans la vie. A l'école, on a peur de leur laisser une trop grande liberté, on craint
de trop leur faire confiance. Et, comme résultat, une fois rendus à l'âge adulte, les enfants d'hier
continuent d'avoir peur. Le problème est à peu près semblable pour les hommes, sauf qu'ils peuvent
peut-être se départir plus facilement de leurs complexes et de leurs préjugés. Aussi ils s'intègrent
beaucoup plus facilement à la vie active qui est leur vie normale.
Mais il n'y a aucune raison pour que les syndiquées n'essayent pas de se départir de leur peur de "ne
pas bien faire" et n'acceptent pas d'être actives à l'intérieur du syndicalisme. Elles doivent
avoir une grande confiance en elles-mêmes, car elles représentent une grande partie des travailleurs
et c'est par elles que les véritables problèmes des travailleuses seront connus et que leurs droits
seront revendiqués.
A plusieurs reprises les travailleuses syndiquées ont prouvé qu'elles étaient capables de
compréhension et d'endurance tout autant sinon plus que les hommes. Pour n'en citer que deux,
la grève de Dupuis
et celle de la London Shirts, qui vient de se terminer après 110 jours d'attente,
le prouvent surabondamment.
[Source : Le Travail et la Vie syndicale, 11 février 1955, p. 6.]
REPÈRES :
1919 : Déclenchement d'un premier conflit de travail dans les usines d'allumettes de la compagnie Eddy
1924 : Des centaines d'allumettières de Hull en lock-out pour conserver leur syndicat
1925 : Grève générale des ateliers de vêtements pour femmes de Montréal
1937 : Grève de 5.000 ouvrières de l'industrie du vêtement (avril) -
Grève à la Dominion Textile (août) -
L'organisation des travailleuses de la Dominion Textile
1937-1952 : Léa Roback et Madeleine Parent, pionnières du syndicalisme (Archives de Radio-Canada.ca)
1952 : Grève des employé-es de S. Rubin de Sherbrooke
1963 : Grève des infirmières de l'hôpital Sainte-Justine