Il y a un peu plus d'un an, j'avais sur les genoux la fille de six ans de Nehad, une petite charmeuse
aux cheveux bouclés, et je ramassais des oeufs d'une assiette partagée par ses cinq autres enfants
quand des balles s'enfoncèrent avec un bruit sourd dans les murs de sa maison, à la frontière de
la zone de Rafah. Avec une fierté timide, Nehad me raconta que les oeufs provenaient de ses
propres poules et les oranges, des quelques arbres demeurés intacts dans son jardin. Les enfants
regardaient un dessin animé à la télé, habitués au rat-a-tat-tat d'un tir constant jusqu'à ce que
les balles devinrent si sonores que même eux plongèrent vers le sol.
Chaque fois que je (Starhawk) logeais dans la maison d'Abu Akhmed, il me taquinait sur le fait que j'étais juive
et puis il essayait de déterminer lequel de ses amis pourrait faire un bon mari pour que je puisse
rester à Rafah. Un fermier et 45 de ses arbres avaient déjà été passés au bulldozer. Dans la soirée,
des vieillards se réunissaient autour d'un petit feu dans une boîte d'étain, versaient le thé et
causaient tandis que les tanks roulaient au-delà des grilles et que le tir occasionnel s'écrasait
sur les murs. J'étais là avec l'International Solidarity Movement (ISM) qui préconise la résistance non-violente
contre l'occupation.
J'étais venue à Rafah pour soutenir les équipes qui étaient avec Rachel Corrie,
la jeune membre de l'ISM écrasée à mort par un bulldozer militaire israélien en essayant d'empêcher la
destruction d'une maison, et Tom Hurndall, touché par un sniper israélien alors qu'il essayait de
sauver des enfants sous le feu. Ceci sont les maisons démolies à Rafah - de vieilles fermes des familles originaires de la région,
les blocs d'appartements bondés de réfugié-es, les appartements où s'entassent les familles élargies,
l'étoffe d'une communauté qui a gardé des liens forts face à une énorme répression. Nehad n'a plus
d'orangers, les oliveraies de la famille ont été rasées, ses enfants n'ont plus de maison. Et bien
plus que des murs et des jouets, des photos de famille ont été détruites. Le sens de sécurité et
de confiance dans le monde des enfants, la simple dignité d'une vieille femme, des racines familiales,
la facile générosité d'un jardinier, tout s'est écroulé avant l'assaut.
Depuis un an, les membres de l'ISM et d'autres groupes de droits humains ont été écartés par l'armée de Rafah et de
la bande de Gaza. Mais nous avons soutenu la résistance non-violente croissante en
Cisjordanie où les villages sur le chemin du mur de "sécurité" israélien ont opposé une résistance
à la confiscation de leurs terres et la destruction de leurs communautés au moyen de manifestations
quasi quotidiennes réprimées par des "sound bombs", des balles de caoutchouc, des gaz lacrymogènes,
des chevaux, des matraques et de vrais balles. L'échange non reconnu pour le "désengagement" de
Gaza par Sharon a été la légitimation par Bush de ce mur qui empiète profondément dans le territoire
palestinien, qui annexe les colonies illégales qui se sont implantées loin en Cisjordanie, qui
transforme les villes en des enclaves-prisons en plein air et qui détruit la viabilité de tout État
palestinien futur, mettant fin efficacement à la possibilité d'une solution pour les deux États.
Le mur et les colonies font partie d'une stratégie planifiée depuis longtemps par la droite religieuse
pour annexer la Cisjordanie, qui est le pays historique de la Judée et de la Samarie bibliques, où
Abraham déambulait et où les prophètes lançaient leur cri d'indignation contre l'injustice.
Il n'y a pas eu de grands cris d'indignation quand des soldats israéliens tuèrent des manifestant-es
non-violents dans le village de Biddu, dont cinq personnes tuées au cours des six derniers mois dans
des manifestations pacifiques. Il n'y a pas eu de condamnation massive de la violence des soldats à
cheval contre des femmes lors de manifestations en avril où des militantes israéliennes furent
brutalisées en même temps que des Palestiniennes. Ces actes ont anticipé l'extrême violence qui a
caractérisée ce qui s'est passé à Rafah ces derniers jours et qui a enfin réveillé la voix de la communauté internationale.
Les crimes de guerre et la violence ne peuvent pas apporter la paix. Tuer des enfants n'est pas le moyen
d'arrêter ceux qui commettent des attentats-suicide de tuer des enfants. On ne peut atteindre la sécurité
que par une solution politique qui reconnaît les droits des deux peuples, qui attache la même valeur
aux vies palestiniennes et aux enfants qu'aux vies israéliennes. Il est temps pour chacun-e de nous qui
sommes attachés aux droits humains de rejoindre ces prophètes, ces Palestinien-nes, ces Juifs et ces
Israélien-nes qui dénoncent l'injustice, qui refusent d'accepter la "sécurité" comme
justification de crimes contre l'humanité. Nous devons qualifier de crimes de guerre ce qui en sont
et exiger la fin de l'occupation de Rafah, de Gaza et de la Cisjordanie : la fin des assassinats ciblés,
un moratoire pour la construction du mur,
la fin du financement étatsunien de la politique criminelle de Sharon et le commencement de vrais négociations,
dans la bonne foi, pour une paix juste. Si nous restons silencieux, nous sommes complices de ces crimes.
Si nous voulons la paix dans ce pays déchiré et qui saigne, nous devons d'abord amener la justice.
Starhawk, 20-05-04. Traduction : Edith Rubinstein des Femmes en Noir
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Service de paix international de femmes en Palestine - Coalition of Women for Peace - information - montréal - palestine
Édition et mise en ligne : Nicole Nepton Mis à jour :
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