Au Québec, les victimes de violence conjugale ont accès à des services, mais les femmes qui
souhaitent quitter un conjoint violent sont-elles adéquatement soutenues pour autant?
En novembre 2001, le Regroupement québécois des maisons d'hébergement et
de transition pour femmes victimes de violence conjugale tenait une
commission d'études
afin de dresser un portrait réaliste de la situation. Des femmes qui ont
été victimes de violence conjugale, des travailleuses de CLSC, de maisons d'hébergement, une
chercheuse, des intervenant-es de groupes de femmes et d'hommes sont venu-es
témoigner
de la réalité vécue par les femmes et les enfants
qui cherchent de l'aide pour sortir du
cycle infernal de la violence conjugale. Au cours de cette
démarche déjà très difficile en elle-même, ces personnes doivent encore trop souvent affronter des
obstacles insensés.
Saviez-vous que, quand elles quittent un conjoint violent, les femmes doivent aussi généralement
quitter leur résidence, souvent aussi leur quartier, parfois leur ville ou leur région?
Il leur faut donc rebâtir plusieurs aspects de leur vie alors même que la violence dont elles
ont été victimes leur fait vivre un niveau élevé de détresse
psychologique, qu'elles ont peur, manquent d'estime d'elles-même, sont déprimées et en plein stress post-traumatique?
Source : Solange Cantin
du CRI-VIFF
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PLUS DE SERPENTS QUE D'ÉCHELLES
Louise Vaillant est travailleuse sociale, psychothérapeute, formatrice et intervenante
de terrain. Chaque jour, elle côtoie des femmes aux prises avec un conjoint violent.
Elle a constaté que la trajectoire des femmes qui recourent aux services offerts par le
réseau
de la santé et des services sociaux du Québec ressemble à un jeu d'échelles et de serpents.
Les échelles vers la sortie d'une relation violente, ce sont les
services adaptés à la réalité que vivent ces femmes. Les serpents, ce sont ceux qui les ramènent
à la case départ voire encore plus bas.
J'entends des "ben voyons, depuis le temps qu'on parle de la violence conjugale, les différent-es
intervenant-es auxquel-les ces femmes ont affaire doivent bien savoir de quoi il s'agit et ajuster
leurs services en conséquence!" Eh bien non.
Quand on ne traite que les conséquences de la violence conjugale
Comme vivre avec un conjoint violent affecte la santé mentale et physique des victimes, elles sont
souvent amenées à consulter des médecins et divers-es intervenant-es du réseau. Nous sommes porté-es à
croire que ces professionnel-les sont sensibles aux signes révélant qu'une femme vit de la violence.
Dans la réalité, les intervenant-es du réseau ne sont pas systématiquement
formé-es sur la problématique
de la violence conjugale. Souvent, ils ne la dépistent pas
et traitent seulement ses conséquences. Un exemple :
Une dépression majeure
Madame va au CLSC parce qu'elle se sent déprimée. On diagnostique une dépression majeure, on
lui prescrit des médicaments et on la réfère à l'équipe psychosociale pour un suivi à court terme.
Après 7 semaines d'attente, elle peut bénéficier d'un maximum de 12 rencontres avec une travailleuse sociale
qui intervient selon une approche cognitive et en travaillant sur l'estime de soi et la relaxation.
Elle parle un peu de ses difficultés conjugales, mais elle n'est pas encore suffisamment en
confiance pour s'ouvrir complètement sur le sujet. Pour sa part, l'équipe
psychosociale croit que ses problèmes conjugaux sont causés par sa dépression plutôt que l'inverse.
À la fin des 12 rencontres, que se passera-t-il selon vous? Son conjoint va-t-il changer? Quand demandera-t-elle
à nouveau de l'aide?
Pourquoi n'en parlent-elles pas ?
Les victimes de violence conjugale n'ont pas toujours conscience qu'elles sont aux prises avec
ce problème. C'est une situation qui s'installe petit à petit et qui les
démolit insidieusement. Elles se sentent inadéquates, ont honte de ce qu'elles vivent et
elles sont confuses. Elles ont peur et avec raison. Leur conjoint les menace de leur faire perdre leur-s enfant-s, leur emploi,
leur maison, d'être battues, violées, torturées, internées, tuées... Il serait donc d'autant plus important
que les intervenant-es du réseau soient en mesure de dépister que des femmes vivent de la violence conjugale.
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Une priorité pousse l'autre
Il y a quelques années, Louise Vaillant a pu former des intervenant-es du réseau à la problématique de la
violence conjugale. Il n'y a pas eu de budget alloué pour faire de suivi ni pour continuer à former
systématiquement les intervenant-es qui en ont besoin. Avec toutes les réorganisations
et les coupures de postes des dernières années, ça bouge dans ce réseau-là. Une formation ne suffit pas
une fois pour toutes. Quant au dépistage, Cécile Côté de l'Ordre des travailleurs sociaux
du Québec rapporte qu'il s'en est déjà fait de façon systématique dans les CLSC et puis on est passé à autre chose. C'est une question
de priorités. On forme, on dépiste puis, après 2 ou 3 ans, on établit
d'autres priorités comme si le problème était réglé.
Le traitement de "problèmes de communication"
Louise Vaillant rapporte le cas d'une femme que son conjoint blâmait d'être incapable d'accoucher
sans anesthésie en plein travail. Monsieur refusait qu'on la soulage. On l'a sorti de la salle
d'accouchement puis on a référé le couple aux Services sociaux.
Une travailleuse sociale a alors fait des entrevues avec le couple afin de traiter leur
problème de "communication". Se sentant en confiance, madame a raconté des épisodes de violence tandis
que son conjoint a admis avoir été violent envers elle pendant sa grossesse. Selon la travailleuse
sociale, monsieur ne faisait que traverser une phase d'adaptation à son nouveau rôle de père.
Croyant mieux comprendre les problèmes de violence de son conjoint, madame croit qu'il finira par
s'adapter. Elle accepte de l'aider. Au retour au domicile, elle vivra la violence la plus grave qu'il lui ait fait subir parce que, selon
lui, elle a trahi leur intimité. "Je croyais qu'il allait me tuer, moi et mon bébé. J'ai gardé des marques
pendant des semaines." La leçon qu'elle a retenue? Il ne faut pas qu'elle parle de ce qu'elle vit. C'est dangereux.
Traiter la violence conjugale comme s'il s'agissait d'un problème de communication, trop d'intervenant-es
du réseau le font. C'est la "mode". Non seulement passe-t-on à côté du problème - il s'agit de
relations de pouvoir où l'un domine et contrôle l'autre, de
relations destructrices pour les victimes - mais encore leurs
interventions risquent-elles de mettre des femmes et leurs enfants en danger. Parce que la
violence conjugale, c'est sérieux. Elle détruit. Elle tue. Et tout
particulièrement
au Québec où plus de conjoints tuent leurs conjointes qu'ailleurs au Canada.
Une proportion importante de femmes victimes de violence conjugale craignent pour leur vie. Et avec raison :
les femmes sont les principales victimes des homicides entre conjoints. De 1979 à 1998, le ratio
de conjointes tuées pour un conjoint a été de 3,4 au Canada et de 5,5 au Québec.
Les femmes sont aussi plus susceptibles que les hommes d'être blessées lors d'une agression en
contexte conjugal ou dans un autre contexte. Les risques de blessures augmentent quand leur agresseur
est un conjoint actuel ou passé.
Pour plus d'information, consultez la présentation et les références de Solange Cantin du
CRI-VIFF
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La séparation ne met pas nécessairement un terme à la violence conjugale.
Au contraire, le Centre canadien de la statistique juridique rapporte qu'elle provoque
des excès de rage chez les hommes dans la majorité des cas. Les mauvais traitements subis
après la séparation sont assez graves, en particulier pour les femmes. Elles courent aussi un
plus grand risque d'être assassinées après la séparation. Saviez-vous que
38% de tous les homicides commis contre les Canadiennes le sont par un ex-conjoint?
Au Québec, en 2000, la violence conjugale a fait 16.000
victimes, soit 10% de plus qu'en 1999. Dans 85% des cas de violence ayant lieu au sein d'une famille,
c'est la conjointe qui en est victime. À Montréal, en 2000 on a recensé 6.612 victimes de violence
conjugale dont 5.610 femmes; en Montérégie, on en a recensé 2.395 dont 2.006 femmes. Les femmes subissent : voies de fait (56%), menaces (19%), harcèlement criminel (11%), agressions armées ou causant
des lésions (10%), agressions sexuelles (2%), enlèvements ou séquestrations (1%), meurtres,
tentatives de meurtre et voies de fait graves (moins de 1% chacun). 9 fois sur 10, l'agresseur est un homme.
D'après Le danger de l'après-rupture,
Le Devoir, 01-08-01 et La violence conjugale continue de faire des ravages, La Presse, 31-07-01
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LA RARETÉ DES SERVICES OFFERTS AUX FEMMES AUTOCHTONES : UN SCANDALE
80% des femmes autochtones subissent de la violence. 80% vous avez bien lu. Une violence
qui ne fait pas les manchettes. Après tout, elle ne tue
"que" des autochtones. Dans la même région, en un mois, deux femmes ont été tuées par leur conjoint et un bébé de 13 mois
a été battu par son père qui a ensuite écrit le mot vengeance sur son ventre avant de le lancer par
la fenêtre. On n'en a pas entendu parler. Un exemple parmi d'autres.
Pourquoi tant de violence? Michelle Audette des Femmes Autochtones du Québec (FAQ) explique que les
communautés autochtones ont beaucoup souffert de l'obligation de devoir se séparer de leurs enfants.
Dans les pensionnats, les enfants ont vécu beaucoup de violence et subi des agressions sexuelles.
Aujourd'hui, la violence se perpétue et d'autant plus que les Autochtones vivent dans
un contexte
de pauvreté et de violence institutionnelle en vertu de la Loi sur les Indiens qui
crée des situations où les membres d'une famille n'ont pas les même droits.
Dans les communautés autochtones, la violence conjugale est perçue comme étant
normale. C'est à peine si on commence à percer le mur du silence. Vous croyez que la
lutte contre la violence est une priorité? Eh bien non.
Les femmes autochtones ont bien peu de moyens pour faire face à ce problème. Il y a
seulement 5 maisons d'hébergement pour les femmes des 52 communautés autochtones et inuit du Québec. Les Autochtones
ont des façons de faire qui leur sont propres (telles que des cercles de guérison), mais celles-ci ne cadrent pas dans les programmes. Les interventions sont aussi à court terme. Par exemple, les
FAQ ont réalisé pendant 2 ans une campagne de sensibilisation sur la violence conjugale qui a très
bien fonctionné, mais elles n'ont pu obtenir de fonds pour la poursuivre.
À l'heure actuelle, les FAQ craignent de perdre leur financement du fédéral alors que le gouvernement
provincial ne se sent pas responsable envers les Autochtones. Le bureau de la condition
féminine de l'Assemblée des Premières Nations vient d'être sabordé suite à des coupures de
la part du gouvernement canadien. Selon Michelle, les 648 communautés autochtones du Canada
sont en train d'exploser par manque de ressources et les personnes qualifiées pour intervenir
sont en burn-out. Alors qu'il serait urgent d'intervenir au moyen de stratégies à long terme,
les femmes autochtones voient leurs ressources diminuer. Michelle a aussi expliqué que les
sages-femmes autochtones n'auront bientôt plus le droit d'exercer en vertu de la nouvelle loi québécoise réglementant
cette pratique alors qu'elles jouent un rôle important dans les communautés.
Article relié : On a volé la vie de nos sœurs, 04-10-04
LES FEMMES LESBIENNES SANS SOUTIEN ADÉQUAT
Suzie Bordeleau du Groupe d'intervention en violence conjugale chez les lesbiennes
explique que les ressources ne sont pas adaptées aux besoins des femmes lesbiennes. On intervient d'après
le modèle de la violence conjugale entre hommes et femmes, ce qui ne correspond pas à ce qu'elles vivent. Par ailleurs,
les maisons d'hébergement ne les acceptent pas car il leur faudrait aussi intervenir sur
les préjugés envers les orientations sexuelles différentes. Le contexte de pénurie dans lequel elles
oeuvrent ne facilite pas l'adaptation de leurs services aux besoins
spécifiques de ces femmes. Porter plainte est pourtant d'autant plus difficile pour les femmes
lesbiennes qu'elles sont ainsi amenées à faire un "coming out" multiple : auprès de la police, de
différent-es intervenant-es, de leurs proches, etc., tandis qu'elles sont
particulièrement isolées, leur communauté acceptant mal la réalité de la violence entre femmes.
LES FEMMES SOURDES EN DÉTRESSE
En un an, la Maison des femmes sourdes de Montréal a reçu près de 250 demandes d'aide concernant
des problèmes de violence conjugale. La Maison
a donc développé un service d'intervention mobile qu'elles offrent aux maisons d'hébergement. La moitié
d'entre elles acceptent d'accueillir les femmes sourdes, ce qui est insuffisant. Lors de
leur intervention devant la Commission, on sentait la détresse des intervenantes qui doivent
sensibiliser elles-mêmes le réseau et les maisons d'hébergement aux besoins spécifiques des femmes sourdes tout
en tâchant de soutenir adéquatement les victimes de violence. Une bien lourde tâche à réaliser
avec un minimum de ressources.
LES IMMIGRANTES PARTICULIÈREMENT VULNÉRABLES
Selon Rosa Miranda, intervenante auprès des femmes immigrantes, les femmes parrainées sont
particulièrement vulnérables. Elles n'ont pas droit aux cours de français pour immigrant-es, elles
ne peuvent ni étudier, ni travailler. Elles peuvent avoir droit à l'aide sociale en allant en cour,
mais elles ne le savent pas. Elles sont particulièrement dépendantes de leur conjoint tout
en croyant qu'elles seront expulsées du pays si elles portent plainte pour
violence conjugale. Il arrive aussi qu'elles n'aient pas du tout confiance
dans la police quand celle-ci avait droit de vie ou de mort dans leur pays d'origine. Elles ont
grand besoin d'être soutenues dans leurs démarches, mais on
manque de ressources et d'autant plus qu'il leur faut aussi des traductrices et des
interprètes culturels.
Publications reliées :
Nulle part où aller?, Conseil canadien de développement social, mars 2004
Quand des cultures cohabitent, dialoguent et s'affrontent: la vie trépidante des immigrantes
africaines au Québec, Ghislaine Sathoud, avril 2004
Contenu et mise en ligne : Nicole Nepton. Photos : Charlotte Thibault Mis à jour :
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