L'ÉGOÏSME DANS LES RELATIONS SEXUELLES (1943)

par Jacqueline Poisson

Les nouvelles méthodes de contraception, notamment la méthode Ogino-Knaus, sont diffusées au Québec dès 1935. Un ouvrage français, "La Liberté de la conception" par le Dr A. Marchal, est distribué à Montréal par la librairie Pony et une brochure du Dr Paul Dumas, de l'Hôtel-Dieu, se met à circuler la même année. Elle est accompagnée d'un texte de Marcel Chaput (1867-1942), "La méthode Ogino-Knaus devant la morale catholique". Cette méthode de contraception, ridiculisée depuis, représente cependant une avancée considérable à l'époque. Les cours de préparation au mariage, au début des années 1940, abordent également le thème de la contraception, mais dans un contexte moralisateur. En 1943, paraît "Pour contrôler les naissances", de Jacques Poys, pseudonyme de Jacqueline Poisson, aux éditions Nossiop ("poisson" à l'envers) et l'ouvrage est condamné par l'évêché de Montréal comme matérialiste en 1944.

Dans cet ouvrage de 110 pages, outre une description détaillée et scientifique de la méthode Ogino-Knaus, on trouve un chapitre intitulé "La femme devant l'histoire et la société", où l'auteure affirme que "la femme doit être l'égale de l'homme" et évoque les théories de Bachofen et d'Engels sur l'existence d'un matriarcat primitif. Elle regrette également "que l'éducation de la femme a malheureusement fait défaut à plusieurs points de vue". Elle recommande aux nouveaux mariés d'attendre avant d'avoir des enfants. Elle propose enfin un chapitre sur "le mariage ou la vie à deux". Le texte présenté est extrait de ce chapitre. Loin d'être banal, ce texte exprime un point de vue extrêmement original : celui du droit des femmes au plaisir, indépendamment du devoir de procréation.


Les rapports sexuels sont, de leur nature, l'acte d'amour, le summum de l'assouvissement des sens, le "nec plus ultra" de l'abandon d'un être à un autre. Cet acte sublime, qui contient en lui une si grande volupté qu'on serait tenté de la qualifier de céleste, peut provoquer chez la femme un tel dégoût, une si grande répugnance qu'elle ne reculerait pas devant le meurtre ou le suicide pour l'éviter.

L'homme qui, dans son égoïsme, ne fait pas en sorte de susciter chez son épouse, par des manières de gentilhomme, toujours, par des propos aimables, par des caresses appropriées, un désir génésique, l'homme qui oublie qu'il n'est pas seul durant la copulation et que la femme aspire autant que lui au complet apaisement de ses sens est l'artisan de son propre malheur.

La femme, forcée de se prêter de manière passive à un acte qui non seulement ne lui offre aucun attrait mais lui inspire une répugnance qu'elle supporte, généralement par esprit de soumission ou de devoir conjugal est désormais la proie facile et toute désignée pour la neurasthénie, surtout si de ces rapports doit résulter une fécondation qui lui créera tous les ennuis inhérents à la gestation et à l'accouchement.

Un jour viendra où, indignée du traitement inqualifiable que lui fait subir son mari, elle s'opposera et résistera avec raison à tout rapport sexuel avec lui, ce qui n'est pas une garantie absolue qu'elle ne rencontrera pas un homme plus délicat qui provoquera chez elle ce désir et avec lequel elle partagera un plaisir et une satisfaction auxquels elle avait droit et que son mari n'a pas su ou n'a pas voulu lui procurer. Souvenez-vous de cette phrase qu'il n'est permis à aucun mari d'ignorer : "Le mari brutal prépare le triomphe de l'amant délicat".

La femme en général ne trompe pas son mari à moins que ce dernier l'ait plusieurs fois mérité par sa brutalité, son égoïsme, sa négligence ou son infidélité. Combien de femmes, mères d'un grand nombre d'enfants, n'ont jamais connu les plaisirs de l'amour? Peut-on concevoir une plus criante injustice, un égoïsme plus borné de la part du mari? D'après le Docteur Michel Bordas, dans à peine 1% des cas la femme éprouve le spasme vénérien dans l'acte d'amour.

La femme ne peut revendiquer aucun droit si, après une journée à exécuter les durs travaux nécessités par l'entretien d'une maison pleine d'enfants, elle doit, le soir venu, plutôt que de goûter un repos réparateur, se tenir à la disposition d'un mari égoïste qui, sans se soucier de l'état de fatigue ou de maladie de son épouse, sans autre préambule qu'un ordre lancé comme un boulet de canon, satisfera ses désirs sexuels comme il a satisfait son appétit au souper pour, immédiatement après, ronfler comme un tuyau d'orgue.

Peu importe le résultat de ses actes toujours égoïstement accomplis. Penser à sa femme?... Mais il pense à elle puisqu'il solde les comptes du propriétaire, de tous les fournisseurs; c'est pour elle qu'il travaille et débourse tous ces montants, comme si lui et ses enfants n'avaient ni besoin d'abri ou de nourriture. Il ne réalise même pas qu'il traite ses animaux mieux que sa femme puisqu'ils ont à manger ce que leur maître leur offre tandis que sa femme doit préparer elle-même la nourriture si elle veut en absorber. [...]

L'on devrait, pour le bien général, enseigner à ces fabricants de malheureux les bienfaits de la continence périodique qui leur permettrait de se reposer quelques jours par mois pour mieux aimer ensuite. Pourquoi ne pas apporter dans l'acte éminemment grave de la procréation la somme d'intelligence qu'on apporte dans l'accomplissement des autres actes de la vie? [...]

[Source : Jacques Poys, Pour contrôler les naissances, Montréal, éditions Nossiop, 1943, p. 65-68.]



© Éditions du remue-ménage, 2003

Édition Web et mise en ligne : Nicole Nepton, 2 août 2004
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