par Mary Two-Axe Early
La Commission Bird (Archives de Radio-Canada.ca) a
été l'occasion pour les Amérindiennes de
rendre publiques les discriminations profondes dont elles sont victimes sous la
Loi sur les Indiens qui régit les
Premières Nations depuis 1869. Cette loi contient
en effet un article qui pénalise les Amérindiennes qui épousent
des non-Indiens : celles-ci perdent leur statut d'Indien, de même que leurs enfants, alors que
l'inverse n'est pas vrai, car la conjointe blanche est intégrée à la
réserve et les enfants bénéficient des droits et privilèges de
leur père indien. Les femmes autochtones sont exclues
de leur communauté et dépossédées de leurs biens. Cette loi leur est apparue comme un instrument
de la politique d'assimilation du gouvernement fédéral. Les responsables
des Premières Nations s'opposent à toute modification de la Loi sur les Indiens,
qui pourrait être interprétée comme une brèche autorisant la
réduction des "avantages" consentis aux populations autochtones. Les
femmes sont donc discriminées par la loi et par les hommes de leurs nations respectives. En
dépit de nombreuses modifications mineures, le statut des femmes autochtones est demeuré inchangé
depuis un siècle. Les femmes mohawk de la réserve de Caughnawaka (aujourd'hui
Kahnawake) présentent
le tout premier mémoire qui aborde publiquement cette question. L'initiatrice de cette lutte,
Mary Two-Axe Early, avait toutefois présenté ses doléances dès 1956, devant un Comité des Affaires indiennes.
Chère Madame Bird,
Le monde occidental est responsable de nombreux changements sociaux survenus dans les nations
sous-développées. Les plus frappants étant probablement ceux qui ont trait à la situation des
femmes au sein des nations où prévalaient auparavant d'anciennes coutumes discriminatoires à
l'égard de la population féminine.
Au cours des dernières décennies, les femmes blanches de notre hémisphère ont obtenu des droits
égaux à ceux des hommes dans divers domaines : héritage, droit de vote égal, égalité d'accès
à l'emploi, avantages égaux en éducation et autres droits inaliénables. En tant que femmes
indiennes d'Amérique du Nord résidant dans le même hémisphère, nous demandons que ces droits
soient partagés avec nous.
Les injustices et atrocités liées au traitement des femmes indiennes mariées à des non-Indiens
incluses dans la Loi sur les Indiens sont si nombreuses qu'il nous apparaît difficile de toutes
les énumérer et de bien les expliquer. Seules celles qui revêtent une importance majeure seront
donc abordées dans notre mémoire.
- Une femme non indienne qui épouse un membre de la bande obtient tous les droits et privilèges
que son mari possède, tels que spécifiés dans la Loi sur les Indiens ou selon la tradition patriarcale
récente. Elles peuvent voter sur les principaux enjeux régissant, affectant ou réglementant les
actions, déplacements ou l'évolution de la bande, et peuvent également participer directement à
l'élection d'un membre du Conseil de bande. Plus de 200 membres de la bande sont mariés à des
femmes non indiennes, d'ascendance danoise, irlandaise, juive, française, noire, allemande,
italienne, polonaise et anglaise. Selon nous, leur vote représente une menace inquiétante pour
toute législation, projet de loi, amendement ou tout élément pouvant affecter notre statut au sein
de la bande. Dans notre réserve, la population adulte en âge de voter est inférieure à 2.000 personnes.
Cela, à notre avis, est discriminatoire puisque notre expérience au sein de la réserve devrait nous
éclairer sur les questions les plus importantes pour le meilleur intérêt du peuple indien. Nous
croyons donc que le droit de vote devrait nous être octroyé, tout comme les femmes non indiennes
ont le droit de vote.
- Les enfants issus du mariage entre un homme membre de la bande et une non-Indienne disposent
des pleins droits et privilèges de leur père. Ces enfants sont élevés par une non-Indienne,
dans la langue, les coutumes, les mœurs, croyances et valeurs de non-Indiens. Ils ne sont pas
adéquatement éduqués selon les coutumes, les traditions et la langue du peuple indien. Nous,
les femmes, élevons nos enfants en les éduquant le mieux possible à la manière des Anciens.
Nous croyons donc que nos enfants sont davantage indiens à cause de ces enseignements,
de ces relations et de cet environnement. Par ailleurs, plusieurs enfants de femmes non indiennes,
voulant s'identifier à leur mère, rejettent la culture indienne. Leurs pères sont souvent à
des milles du foyer, travaillant dans des chantiers de construction, incapables de les influencer
par aucune idée, aucun acte, parole ou pensée qui leur montrerait quoi que soit d'indien.
Considérant les faits mentionnés, nous estimons que, puisque nos enfants ont été convenablement
éduqués par la Mère, puisque les Mères, dans tous les groupes ethniques, éduquent leur progéniture,
nos enfants devraient se voir reconnaître les mêmes droits. De plus, nous croyons que toutes les
personnes dont il est prouvé qu'elles sont au moins un quart indiennes devraient avoir accès
à ces droits inaliénables.
- Les Indiens du Canada ont droit à certains avantages pour leur éducation au niveau primaire,
secondaire et universitaire. La femme indienne qui épouse un non-Indien perd ces privilèges
importants, ce qui l'empêche souvent de poursuivre les études supérieures commencées lorsqu'elle
était célibataire et considérée comme un membre de la bande. Les enfants des Indiennes mariées
à des non-Indiens qui vivent sur notre réserve doivent voyager des milles par autobus matin
et soir pour se rendre dans des écoles où les élèves se montrent hostiles à la présence de
demi-Indiens qui envahissent leur domaine. Les femmes non indiennes mariées à des membres
de la bande et leurs enfants ont droit à tous les avantages à tous les niveaux d'éducation.
En outre, leurs enfants ne sont pas envoyés par autobus dans des écoles éloignées. Nous voulons
que ces avantages en éducation soient étendus à nos enfants, comme à tous les enfants ayant un
quart de sang indien. Aux États-Unis, le Secrétariat d'État a conclu des ententes avec des
collèges et universités publics et privés, afin de donner accès à ces avantages à toutes
les personnes ayant un quart de sang indien, peu importe leur lignée.
- Le droit de succession a été révisé dans la plupart des pays d'Occident afin de garantir
des droits égaux aux femmes qui héritent de la propriété. Selon la Loi sur les Indiens,
les femmes qui épousent quelqu'un qui n'est pas membre de la bande doivent alors vendre
ou se défaire de leur propriété dans les 90 jours. Cette loi est préjudiciable puisqu'elle
viole le droit naturel d'une femme d'user de sa propriété. Nous pensons que toute femme
indienne devrait avoir le droit de garder ou de disposer des propriétés dont elle a hérité
comme bon lui semble, tant et aussi longtemps que cette propriété demeure parmi la population
ayant au moins un quart d'ascendance indienne. En outre, nous réclamons, pour nous et pour
nos enfants, le droit d'hériter de la propriété au même titre que les Blancs. Cette section
préjudiciable de la Loi sur les Indiens a été invoquée récemment pour harceler, menacer et
intimider des femmes qui possédaient une propriété héritée de leurs ancêtres depuis des années,
pour une période allant de 12 à 36 ans. Nous croyons que leur droit de nous expulser, nous
les femmes, doit être annulé au nom des restrictions reconnues par un monde naturel.
Nous exigeons les mêmes droits d'héritage que les hommes ainsi qu'une reconnaissance des droits
des personnes ayant en leur possession certaines propriétés depuis une longue période de temps.
Sincèrement vôtre,
Mary Two-Axe Early
[Source : Fonds des mémoires soumis à la Commission royale d'enquête sur la situation de la femme
au Canada (Archives de Radio-Canada.ca), Archives publiques du Canada, notre traduction.]
REPÈRES :
1951 : Adoption de la nouvelle Loi sur les Indiens
1960 : Obtention du droit de vote au fédéral pour les Autochtones
1968 : Création de Droits égaux pour Femmes
indiennes avec Mary Two-Axe Early à sa tête
1969 : Obtention du droit de vote au Québec par les Autochtones
1985 : Dépôt du projet de loi fédéral C-31 sur le statut des Autochtones
1987 : Michèle Rouleau, présidente de l'Association des femmes autochtones du Québec
1992 : Élection d'une première femme à la tête d'une nation autochtone au Canada
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