Dans cet article, Jacquie Manthorne, de la revue Communiqu'elles, s'interroge
sur la quasi-absence de femmes réfugiées seules au Québec et au Canada. L'une des raisons serait
que les persécutions liées au sexe ne sont pas encore reconnues comme motif pour accorder un tel statut.
Parmi ces persécutions à l'égard des femmes, on trouve les "crimes d'honneur", dont sont victimes
nombre d'entre elles dans plusieurs pays. Lorsqu'elles en sont menacées, les femmes ne peuvent
demander le statut de réfugiée. Cette question interpelle donc le sexisme à l'œuvre dans la politique
d'immigration canadienne et dans la définition internationale du concept de réfugié politique.
Dès le début de nos travaux sur le dossier de ce mois-ci, nous avons vite constaté qu'il y avait
beaucoup plus d'hommes que de femmes réfugiés. Beaucoup d'hommes seuls, peu de femmes seules;
la plupart des réfugiées qui arrivent au Québec accompagnent leur mari ou leur famille. De
nombreuses femmes restent dans leur pays d'origine quand les hommes partent.
Pourquoi y a-t-il bien moins de femmes? Nous savons que de nombreuses femmes travaillent activement
en faveur du changement dans leurs pays et sont persécutées à cause de cela. Nous savons également
que dans les pays bouleversés par de graves conflits raciaux ou culturels, la vie des femmes comme
celle des hommes est menacée. Dans nombre de pays qui traversent des bouleversements politiques
et sociaux, les femmes ne sont pas encouragées à prendre part à la lutte. Dans les cas où il n'y
a pas vraiment de choix, c'est-à-dire lorsqu'une culture ou une race majoritaire persécute une
minorité culturelle ou raciale, les femmes n'ont souvent pas les mêmes moyens économiques que
les hommes pour quitter le pays.
Mais il y a d'autres raisons à ce faible nombre de réfugiées. L'une des plus importantes est que
dans la Convention de Genève
sur le statut de réfugié, la notion de sexe n'est pas mentionnée.
En conséquence, les persécutions dues au sexe de la personne ne sont pas officiellement reconnues
comme motif pour accorder le statut de réfugié.
Parmi ces types de persécutions figurent les crimes d'honneur dans les pays méditerranéens et arabes.
Le Working Group on Honour Crimes, coordonné par le
Minority Rights Group, un organisme
britannique qui a reçu le Media Peace Prize de l'Organisation des Nations Unies en 1982,
s'emploie à attirer l'attention sur ce problème. Ce groupe rassemble des représentantes des organismes suivants :
Decade Network for Women, Iranian Women's Solidarity Group, Women and the Third World Working Group,
World University Service,
Santé et droit des femmes (France) et Sentinelles (Suisse).
Que sont les crimes d'honneur? Les femmes sont brûlées vives, jetées au fond d'un puits ou empoisonnées.
Tel est le sort de centaines de jeunes femmes chaque année : elles sont tuées par leur famille au nom
de l'honneur. Quels crimes ont-elles commis? Elles ont eu des relations prémaritales, ou bien elles
ont simplement été vues en compagnie d'un homme. Ou bien, ce qui est pire, elles ont été violées
et sont devenues enceintes. De quelque façon que ce soit, elles ont failli à leur honneur et
ont déshonoré leur famille. Alors, leur père, leurs frères, leurs cousins, ou leurs oncles les
tuent pour sauver l'honneur de la famille. On estime que mille femmes au moins sont tuées ainsi
chaque année, mais leur mort étant souvent rapportée comme un "accident" ou un "suicide", on ne
connaît donc pas les chiffres exacts.
[...] En attendant que toutes les cultures cessent de persécuter les femmes (et notre génération
n'en sera pas témoin), qu'est-ce qui peut être fait pour aider les femmes victimes du code de
l'honneur? Une action bien concrète consiste à modifier la Convention de Genève de 1951 afin
de permettre à ces femmes d'obtenir le statut de réfugié.
Une première étape a été franchie dans cette direction le 10 août 1983 quand Moda Dubray, une avocate
égyptienne vivant en Suisse, condamna la pratique des crimes d'honneur dans les pays méditerranéens
et arabes. Elle s'adressait alors aux membres du
United Nations Working Group on Slavery
and Slavery-like Practices à Genève, sous les auspices du Minority Rights Group.
Me Dubray déclara que beaucoup de jeunes femmes souffrent parce qu'elles ont transgressé le code de
l'honneur de la famille. Cela peut être une transgression d'ordre sexuel, ou tout simplement qu'elles
ont osé regarder un inconnu. Pour cela, elles sont torturées et tuées de façon cruelle par les hommes
de leur famille, ou bien empoisonnées par leur mère qui ne peut supporter de les voir mourir ainsi.
D'autres victimes ne sont pas tuées, mais elles sont chassées de leur village ou de leur pays.
Il n'y a pas que les victimes qui souffrent; les familles qui commettent ces actes s'en trouvent
souvent très malheureuses. Des mères se suicident. Ces pratiques peuvent également se retrouver
en Europe. En 1983, en France, une jeune femme de 18 ans, qui refusa le mariage arrangé par sa
famille, s'enfuit de chez elle. Ses deux frères aînés la retrouvèrent, l'étranglèrent et jetèrent
son corps dans une rivière. Ils furent arrêtés, mais leur avocat plaida les "circonstances atténuantes"
et ils s'en tirèrent avec une peine assez légère.
Me Dubray fit un vibrant appel pour que le statut de réfugié soit accordé aux femmes qui ont réussi
à fuir leur pays pour trouver refuge ailleurs. Jusqu'à ce jour, ces femmes ne sont pas reconnues
comme appartenant à un groupe social victime de persécutions, et on ne peut leur octroyer le statut
de réfugié selon les critères des Nations Unies.
Me Dubray fit mention d'une proposition présentée au Parlement européen par Mme Lizin le 28 juillet
1982, qui demande d'inclure le mot "sexe" dans la Convention afin que le statut de réfugié puisse
être accordé à ces femmes.
[...] Puisque le Canada est l'un des signataires de la Convention de Genève concernant le statut
de réfugié, le soutien des femmes et des groupes de femmes est d'une importance essentielle,
d'une part pour porter cette question à l'attention de notre gouvernement fédéral et, d'autre part,
pour appuyer les organismes internationaux qui pressent les Nations Unies d'agir. Vous pouvez donc
écrire au Premier Ministre du Canada, à votre député fédéral, à Mme Judy Erola, ministre déléguée
à la Condition féminine, et à tout autre politicien qui, selon vous, devrait être informé de
cette situation ou qui serait susceptible d'intervenir à ce sujet. [...] Vous pouvez également
rejoindre les groupes mentionnés [...] pour recevoir de la documentation et offrir votre appui.
[Source : Communiqu'elles, novembre 1983, p. 11-13.]
Pages reliées :
Les femmes réfugiées fuyant la
persécution fondée sur le sexe, Conseil canadien pour les réfugiés, 2001
Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, 2002