LES VICTIMES DES CRIMES D'HONNEUR : MORTES OU CONDAMNÉES  (extraits) (1983)

par Jacquie Manthorne

Dans cet article, Jacquie Manthorne, de la revue Communiqu'elles, s'interroge sur la quasi-absence de femmes réfugiées seules au Québec et au Canada. L'une des raisons serait que les persécutions liées au sexe ne sont pas encore reconnues comme motif pour accorder un tel statut. Parmi ces persécutions à l'égard des femmes, on trouve les "crimes d'honneur", dont sont victimes nombre d'entre elles dans plusieurs pays. Lorsqu'elles en sont menacées, les femmes ne peuvent demander le statut de réfugiée. Cette question interpelle donc le sexisme à l'œuvre dans la politique d'immigration canadienne et dans la définition internationale du concept de réfugié politique.


Dès le début de nos travaux sur le dossier de ce mois-ci, nous avons vite constaté qu'il y avait beaucoup plus d'hommes que de femmes réfugiés. Beaucoup d'hommes seuls, peu de femmes seules; la plupart des réfugiées qui arrivent au Québec accompagnent leur mari ou leur famille. De nombreuses femmes restent dans leur pays d'origine quand les hommes partent.

Pourquoi y a-t-il bien moins de femmes? Nous savons que de nombreuses femmes travaillent activement en faveur du changement dans leurs pays et sont persécutées à cause de cela. Nous savons également que dans les pays bouleversés par de graves conflits raciaux ou culturels, la vie des femmes comme celle des hommes est menacée. Dans nombre de pays qui traversent des bouleversements politiques et sociaux, les femmes ne sont pas encouragées à prendre part à la lutte. Dans les cas où il n'y a pas vraiment de choix, c'est-à-dire lorsqu'une culture ou une race majoritaire persécute une minorité culturelle ou raciale, les femmes n'ont souvent pas les mêmes moyens économiques que les hommes pour quitter le pays.

Mais il y a d'autres raisons à ce faible nombre de réfugiées. L'une des plus importantes est que dans la Convention de Genève sur le statut de réfugié, la notion de sexe n'est pas mentionnée. En conséquence, les persécutions dues au sexe de la personne ne sont pas officiellement reconnues comme motif pour accorder le statut de réfugié.

Parmi ces types de persécutions figurent les crimes d'honneur dans les pays méditerranéens et arabes. Le Working Group on Honour Crimes, coordonné par le Minority Rights Group, un organisme britannique qui a reçu le Media Peace Prize de l'Organisation des Nations Unies en 1982, s'emploie à attirer l'attention sur ce problème. Ce groupe rassemble des représentantes des organismes suivants : Decade Network for Women, Iranian Women's Solidarity Group, Women and the Third World Working Group, World University Service, Santé et droit des femmes (France) et Sentinelles (Suisse).

Que sont les crimes d'honneur? Les femmes sont brûlées vives, jetées au fond d'un puits ou empoisonnées. Tel est le sort de centaines de jeunes femmes chaque année : elles sont tuées par leur famille au nom de l'honneur. Quels crimes ont-elles commis? Elles ont eu des relations prémaritales, ou bien elles ont simplement été vues en compagnie d'un homme. Ou bien, ce qui est pire, elles ont été violées et sont devenues enceintes. De quelque façon que ce soit, elles ont failli à leur honneur et ont déshonoré leur famille. Alors, leur père, leurs frères, leurs cousins, ou leurs oncles les tuent pour sauver l'honneur de la famille. On estime que mille femmes au moins sont tuées ainsi chaque année, mais leur mort étant souvent rapportée comme un "accident" ou un "suicide", on ne connaît donc pas les chiffres exacts.

[...] En attendant que toutes les cultures cessent de persécuter les femmes (et notre génération n'en sera pas témoin), qu'est-ce qui peut être fait pour aider les femmes victimes du code de l'honneur? Une action bien concrète consiste à modifier la Convention de Genève de 1951 afin de permettre à ces femmes d'obtenir le statut de réfugié.

Une première étape a été franchie dans cette direction le 10 août 1983 quand Moda Dubray, une avocate égyptienne vivant en Suisse, condamna la pratique des crimes d'honneur dans les pays méditerranéens et arabes. Elle s'adressait alors aux membres du United Nations Working Group on Slavery and Slavery-like Practices à Genève, sous les auspices du Minority Rights Group.

Me Dubray déclara que beaucoup de jeunes femmes souffrent parce qu'elles ont transgressé le code de l'honneur de la famille. Cela peut être une transgression d'ordre sexuel, ou tout simplement qu'elles ont osé regarder un inconnu. Pour cela, elles sont torturées et tuées de façon cruelle par les hommes de leur famille, ou bien empoisonnées par leur mère qui ne peut supporter de les voir mourir ainsi. D'autres victimes ne sont pas tuées, mais elles sont chassées de leur village ou de leur pays. Il n'y a pas que les victimes qui souffrent; les familles qui commettent ces actes s'en trouvent souvent très malheureuses. Des mères se suicident. Ces pratiques peuvent également se retrouver en Europe. En 1983, en France, une jeune femme de 18 ans, qui refusa le mariage arrangé par sa famille, s'enfuit de chez elle. Ses deux frères aînés la retrouvèrent, l'étranglèrent et jetèrent son corps dans une rivière. Ils furent arrêtés, mais leur avocat plaida les "circonstances atténuantes" et ils s'en tirèrent avec une peine assez légère.

Me Dubray fit un vibrant appel pour que le statut de réfugié soit accordé aux femmes qui ont réussi à fuir leur pays pour trouver refuge ailleurs. Jusqu'à ce jour, ces femmes ne sont pas reconnues comme appartenant à un groupe social victime de persécutions, et on ne peut leur octroyer le statut de réfugié selon les critères des Nations Unies.

Me Dubray fit mention d'une proposition présentée au Parlement européen par Mme Lizin le 28 juillet 1982, qui demande d'inclure le mot "sexe" dans la Convention afin que le statut de réfugié puisse être accordé à ces femmes.

[...] Puisque le Canada est l'un des signataires de la Convention de Genève concernant le statut de réfugié, le soutien des femmes et des groupes de femmes est d'une importance essentielle, d'une part pour porter cette question à l'attention de notre gouvernement fédéral et, d'autre part, pour appuyer les organismes internationaux qui pressent les Nations Unies d'agir. Vous pouvez donc écrire au Premier Ministre du Canada, à votre député fédéral, à Mme Judy Erola, ministre déléguée à la Condition féminine, et à tout autre politicien qui, selon vous, devrait être informé de cette situation ou qui serait susceptible d'intervenir à ce sujet. [...] Vous pouvez également rejoindre les groupes mentionnés [...] pour recevoir de la documentation et offrir votre appui.

[Source : Communiqu'elles, novembre 1983, p. 11-13.]

Pages reliées :
Les femmes réfugiées fuyant la persécution fondée sur le sexe, Conseil canadien pour les réfugiés, 2001
Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, 2002



© Éditions du remue-ménage, 2003

Mis en ligne le 9 janvier 2005 par Nicole Nepton
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