par Brigitte Verdière
Le G8 qui se tenait à Evian en juin 2003 a, pour la seconde fois, mis l'Afrique sous
les feux de la rampe. Une Afrique dans un état dramatique, avec le cortège de maux que l'on connaît :
pandémie du sida et du HIV, guerres civiles sanglantes, pauvreté accrue, corruption des dirigeants...
"Donnez à l'Afrique une place plus importante sur l'agenda. Montrez votre compassion. Promettez
un engagement dans le futur, c'est à dire un engagement que vous respecterez dans le futur",
notait Salih Booker, la directrice exécutive de Africa Action, citée
dans le site allAfrica.com. C'était en juillet 2002, avant le
sommet de Kananaskis (Canada)
où les pays les plus riches du monde ont discuté du lancement du
Nouveau Partenariat pour le
Développement de l'Afrique (pdf; NPDA). La directrice réclamait des mesures concrètes. L'on ajoutera :
dans le respect des droits des femmes, comme l'a
alors réclamé la Marche mondiale des femmes.
L'Afrique bouge
Il y a 20 ans, je mettais les pieds en Afrique noire pour la première fois de ma vie adulte.
À Abidjan exactement. La ville était déjà trépidante. Cela s'est, paraît-il, accentué (je parle
de la vie urbaine, pas de la vie politique qui a nettement perdu de sa quiétude). Quand je suis
allée au Mali en 1997, les jeunes rêvaient de cette Abidjan où la vie, dans tous les sens du
terme, est "chaude". Il est vrai qu'en comparaison, Bamako a l'allure d'une grande ville de
province assoupie.
Pourtant, là comme ailleurs, l'Afrique bouge. Nous en témoignons régulièrement dans ce site :
villages sénégalais qui décident de bannir les mutilations génitales de leurs pratiques;
professeures (et professeurs) qui poussent les filles à s'inscrire
dans les filières scientifiques; candidates aux multiples élections, municipales, provinciales, législatives;
juristes qui se mobilisent pour faire reconnaître la violence conjugale par les codes criminels
et pour des réformes des lois d'héritage des terres, etc.
Ainsi, en Tanzanie, l'organisme War on Want
soutient le projet Rukwa Women's Legal Aid, un programme d'aide juridique destiné aux femmes rurales
qui vivent de l'agriculture de subsistance. Dans cette région où les immigrant-es s'installent
en quête de terres arables, de pâturages et d'or, le sida sévit. Le nombre de veuves et d'orphelin-es
est en croissance fulgurante, ce qui cause des querelles sur l'héritage et engendre des expulsions,
accompagnées de violences. Le programme mis sur pied est informatif et pro-actif. Il comporte
des campagnes d'éducation pour améliorer la position légale des femmes et les informer de leurs
droits. Dans des cas comme l'héritage, la loi tanzanienne s'impose aux lois traditionnelles qui
privent les femmes de leurs droits. Un meilleur accès au système légal les aidera à
gagner des droits de propriété. Le projet offre aussi de l'aide légale pour les cas de violence
sexuelle et conjugale.
Les avancées des Africaines
en politique sont réelles. Avec 30% d'élues, le Mozambique se classe au 12e rang des
pays du monde pour le nombre de députées (élections de décembre 1999). L'Afrique du sud
suit de peu avec 29,8% de représentantes et la Namibie en compte 26,4%.
Et puis il y a ces centaines, que dis-je, ces milliers de femmes qui s'adonnent au commerce, oh!
parfois pas grand'chose, il s'agit de légumes, de fruits, de poisson séché qu'elles vendent
sur les marchés. Quand cela devient plus grand, plus organisé, on parle de mini-entreprises
et des banques octroient du "micro-crédit". Vous avez compté combien de fois j'ai écrit le mot
"mini" ou "micro"? Et pourtant, sur le terrain, cela permet à des familles entières de vivre
ou au moins de survivre. Ceci sans parler des histoires à succès des Nana Benz au Togo
dans les années 1980. Même si ces femmes d'affaires qui vendaient des textiles importés d'Europe
ont vu leurs ventes décliner suite aux difficultés politiques du pays au début des années 1990,
elles ont investi dans la formation de leurs filles, elles qui souvent sont analpabètes.
Les femmes s'affichent aussi sur la scène culturelle. Au Sénégal s'est tenu en avril 2003
une rencontre de Films
Femmes Afrique. Vingt films ont été projetés dans plusieurs villes du pays et, chaque fois,
il y a eu un débat. Ils traitaient de mariages précoces et forcés, de l'éducation des filles,
de la lutte contre l'excision, des femmes et de la paix. La moitié des films présentés ont été réalisés
par des femmes.
Dans un autre domaine, plusieurs pays comptent des équipes féminines nationales de football: en Afrique du sud, en Angola, au Cameroun, au Ghana, au Nigeria, au Togo et j'en passe.
Partout aussi en Afrique, les femmes se mobilisent pour
développer l'accès à Internet, pour échanger des informations, créer une cyber-culture
qui leur soit propre. Ceci, malgré tous les obstacles : analphabétisme, pauvreté, cherté des
communications téléphoniques, du matériel informatique, crainte de l'outil, difficulté à
s'imposer dans ce secteur à forte domination masculine.
Vous le voyez, comme partout et malgré les difficultés, l'Afrique fourmille d'initiatives. Et
ces initiatives émanent des gens eux-mêmes, surtout quand l'État est bien trop déliquescent
pour intervenir. Les "grands pays" qui veulent, au rouleau compresseur, imposer des changements
politiques en Afrique pourraient bien détruire tout ce tissu social au passage. Sans parler
des échecs qu'ont toujours été les méga-projets, construits par l'étranger et pas entretenus
par la suite, soit parce que les firmes étrangères n'avaient pas formé de relève locale,
soit parce qu'ils ne correspondaient pas aux besoins des gens sur le terrain.