par Brigitte Verdière
Connaissez-vous le Café Rico, rue Rachel, à Montréal? Au risque de faire de la publicité pour cet
établissement, tout à fait gratuite au demeurant, je vous engage fortement à y aller. D'abord
parce que c'est un des principaux points de vente de café équitable de la ville, et aussi parce qu'y flotte, en permanence, un délicieux arôme
de café à faire saliver les papilles les plus récalcitrantes.
Ah, le café! J'ai réduit, ces derniers mois, ma consommation à un bol matinal sauf, je l'avoue,
durant mes dernières vacances. Il faut dire que j'étais en France, et qu'un petit noir sur
le zinc, dans les petites tasses blanches pas plus hautes qu'un pouce, cela se déguste
les yeux fermés. Contrairement à ce que je prévoyais, je n'ai pas beaucoup traîné, le soir,
dans les bistrots. Mais à midi! Que ce soit dans le sillage de
Simone de Beauvoir, au fameux Deux magots, à
Saint-Germain-des-Prés où Doisneau l'immortalisa, ou dans un bistrot de village, il se passe
toujours quelque chose dans un café français.
Tenez, le Tour de France. Je ne m'y intéresse absolument pas. Je le maudis même car, sur les routes
sur lesquelles je vagabondais, une fois Paris derrière moi, il m'a fait perdre trois heures
de belles visites. Oui, mesdames, un beau bouchon de trois heures où l'on regarde passer la
caravane (comme les chiens du désert) et où l'on n'avance pas de plus de quelques centimètres
à la fois. J'aurais fait la course avec un escargot, il gagnait!
Donc, le Tour de France. Tous les hommes étaient scotchés dessus, le nez en l'air dans les cafés,
vers la déesse télé. Je me rappelle particulièrement d'un arrêt dans les Corbières, sur la
route des châteaux cathares où, alors que les touristes sirotaient leur menthe à l'eau dehors
sous une bâche jaune et bleue, les villageois étaient massés à l'intérieur, dans la pénombre.
Ceci dit, c'est eux qui étaient le mieux. La pierre assurant une climatisation naturelle,
il faisait bien plus frais dedans que dehors.
Cafés littéraires et autres
Ces dernières années, les cafés ont repris leur rôle littéraire. C'était d'ailleurs leur vocation
première. À Paris, le premier café digne de ce nom, le Procope, du nom
de son propriétaire, l'italien Francesco Procopio dei Coltelli, accueillait Jean de La Fontaine,
Voltaire, Rousseau, Beaumarchais, Balzac, Hugo, Verlaine, etc. Cette vocation est revenue il y a
quelque dix ans avec les cafés philosophiques.
L'on s'y réunissait pour discuter philo, autour d'un thème donné. Puis sont venus
les cafés géographiques, les bars à sciences. Le magazine Québec Sciences organise d'ailleurs des
rencontres dans un café de Montréal pour ses abonné-es.
Parmi les nombreux thèmes qui y ont été abordés,
j'ai trouvé une intervention particulièrement savoureuse de Tania d'Almeida Gandon. Le 20 mars 2002,
cette professeure d'université brésilienne évoquait à Aix-en-Provence,
la cuisine
des femmes de Bahia, parlant de la "résistance d'un art culinaire féminin et sensuel" et soulignant la religiosité
de cette cuisine où "La baiana, avec ses habits, forte référence d'une appartenance culturelle
qui inclut l'aspect religieux et traduit à la fois l'héritage africain et le métissage, évoque
en même temps l'image féminine d'une terre mère, nourrice et amante, une terre sensuelle.
Emblématique, l'image de la baiana et de sa cuisine permet une association entre un terroir
et une certaine identité; une image qui peut servir à des intérêts divers. Elle sert, par exemple,
à des fins politiques tels l'apologie du métissage et de l'intégration nationale. Elle sert
également à l'idéologie qu'envisage Bahia (et par extension le Brésil) comme "terra da felicidade"
(terre du bonheur). Actuellement, cette image sert tout particulièrement à des fins économiques
liées principalement au tourisme."
Bien sûr, le café a aussi des implications économiques. J'évoquais le commerce équitable en début
de cet article. Et je ne peux m'empêcher, en écrivant ces lignes, de me souvenir de l'hécatombe
qui régnait en juillet 2001 au Nicaragua et dans d'autres pays d'Amérique centrale.
C'est qu'alors j'y voyageais et les journaux racontaient comment les cueilleurs de café étaient
chassés des plantations par la sécheresse et l'écroulement des cours du café (ils sont à leur
plus bas niveau depuis 100 ans, ayant chuté de plus de 50% en trois ans), dû notamment à
une surproduction en provenance de certains pays d'Asie du sud-est, conséquence elle-même
des politiques commerciales ultra-libérales sévissant sur les marchés des matières premières.
Les gens mouraient de faim et d'épuisement sur les places publiques, sans aide aucune.
Ils mouraient et la presse occidentale n'en a, à ma connaissance, pour ainsi dire pas parlé!
Il y a pourtant quelques personnes conscientes. Je suis tombée, autre voyage cybernétique,
sur une résolution
du Parlement européen (doc) très progressiste. Oui, oui, le Parlement, qui n'a
malheureusement pas beaucoup de pouvoir hormis celui d'adopter des résolutions, se dit très préoccupé
par les effets de la baisse des cours du café sur les pays tributaires des exportations, met en
cause les politiques du FMI, de la Banque Mondiale et de l'OMC, invite l'Union européenne à "aider
les producteurs de café à tirer parti des meilleures conditions offertes par les micromarchés,
comme le commerce équitable, les cafés fins et biologiques". Car la crise "a provoqué une
aggravation généralisée des conditions de travail et de vie sur les plantations de café,
notamment pour les femmes". Le Parlement souhaite que la question soit inscrite au sommet de Cancun, en septembre 2003. Je vous avouerai que ce n'est sans doute pas, à mon avis,
le meilleur lieu pour défendre les pauvres, mais ceci est un autre débat.