par Brigitte Verdière
Fernando ha vuelto (Fernando est de retour). Fernando, c'est le fils, le frère, le bien-aimé.
En 1973, comme des milliers d'autres jeunes Chiliens et Chiliennes, Fernando a été arrêté, torturé,
assassiné. Sa famille ne l'a jamais revu. Elle a attendu 25 ans pour avoir de ses nouvelles, celles
que lui a transmises l'Institut médical du Chili : un message en forme d'ossements. Fernando a été
identifié, sa dépouille a été rendue à sa famille.
Pinochet,
tortionnaire en chef de ce pays où il a causé tant de douleurs et commis des crimes atroces,
Pinochet donc, malgré des mandats internationaux lancés contre lui, est toujours vivant.
Fernando ha vuelto est un documentaire que Silvio Caiozzi a réalisé en 1998. Il a été projeté
le 12 septembre 2003 à la Cinémathèque de Montréal, le lendemain du trentième anniversaire du coup
d'État de Pinochet. J'ai vu ce documentaire en 1999 à Santiago du Chili, dans le cadre d'un festival
de films. Un silence pesait sur la salle pendant sa projection. Pinochet venait de rentrer de Londres.
Il est toujours là, le vieux Pinochet, sénile et protégé.
Alors que dans l'Argentine voisine, le nouveau président Néstor Kirchner
a
annulé les lois d'impunité qui protégeaient les tortionnaires d'une dictature tout aussi
sanglante, les Chilien-nes attendent toujours un geste de leur gouvernement. "Il n'y a eu qu'une
seule condamnation dans le passé : celle d'un militaire qui a écopé de six ans, imaginez six
ans seulement! pour avoir égorgé en 1982 Tucapel Jimenez, un homme simple, un menuisier,
un syndicaliste, assassinat qui avait été camouflé en suicide", s'indigne
Patricia
Silva Soto, présidente de l'Association des familles des personnes assassinées sous la dictature (Agrupacion
de Familiares de Ejecutados politicos, AFEP) du Chili.
L'association exige la fin de l'impunité envers les responsables de violations des droits humains
(assassinats, disparitions...), déclarée par Pinochet pour les crimes commis entre 1973 et 1978,
et appuie le travail des avocat-es et juges, ce qui a permis d'ouvrir quelque 300 procès contre des
militaires. Ceux-ci utilisent la formule légale de "l'enlèvement permanent" afin de garder
les procès ouverts. Elle réclame l'abrogation de la loi d'amnistie qui fait qu'au Chili,
"les tortionnaires se promènent librement dans les rues".
Pour se consacrer aux activités de l'association, Patricia a abandonné son métier de sage-femme.
Elle était de passage à Montréal le 17 septembre 2003, après une tournée à travers le Canada.
Elle parle d'une voix distincte, sobre, toute tendue de passion. Elle aussi a eu un frère.
Ricardo étudiait, il croyait à un monde meilleur, un monde comme Allende en laissait présager un,
un monde sur lequel un militaire sanguinaire a jeté un voile sombre. Ricardo a été assassiné
avec onze autres jeunes gens par l'armée chilienne.
"Il n'y a pas de réconciliation possible au Chili. La réconciliation est un rapprochement entre
deux parties qui étaient conciliées à une époque, ce n'est pas le cas au Chili", dit Patricia.
Elle récuse aussi l'idée d'indemnisation des victimes calculée sur ce que la personne
disparue gagnait, afin d'obtenir plutôt une réparation égale pour toutes. "La valeur de chaque personne est la même.
Nous voulons une reconnaissance morale", clame-t-elle.
Pour elle, la brèche au sein de la société chilienne est profonde, enracinée dans
l'histoire
même du pays, aggravée par la dictature et les mesures de restriction budgétaire imposées par
le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. "Les banques, les mines sont privatisées. Il n'y a pas
eu de réforme agraire. Il y a beaucoup de pauvreté", indique Patricia qui s'insurge contre l'image
"pacifiée" que le gouvernement chilien, relayé par les médias, présente à l'étranger. "Aucun moyen
de communication n'est libre. Les universités sont inaccessibles aux personnes pauvres. L'avortement
est illégal. Il y a des tests de grossesse à l'embauche des femmes sur tous les lieux de travail".
La loi sur le divorce
votée en mai 2003 n'est pas encore en application. L'Église
catholique reste puissante dans le pays et fait tout pour freiner la mise en oeuvre du texte!
Elle dénonce aussi la répression envers le peuple Mapuche
qui lutte pour récupérer ses terres, sur la rivière Biobio. "Les populations autochtones sont très
discriminées", confirme-t-elle.
Patricia est venue au Canada chercher des solidarités pour le combat de l'Association contre l'impunité,
mais surtout pour parler, parler sans relâche de son pays, de ce qui s'y passe vraiment. La campagne
de l'Association a pour nom "Vérité, Justice et Mémoire pour les nôtres".