par Brigitte Verdière
Si l'on écoutait un peu plus les femmes, le modèle de développement de l'agriculture serait
certainement plus harmonieux. Il respecterait mieux les besoins des hommes et de la nature.
En un mot de la biodiversité. Ce constat provient de la FAO
(Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture) qui s'est dotée d'un
plan d'action pour 2002-2007, Parité hommes-femmes
et développement, et qui possède une section
"genre" dans son site
Internet très bien documenté.
L'organisation constate que les femmes, surtout dans les régions pauvres de notre planète qui sont,
on le sait, légion, ont une connaissance intime du sol, des plantes et des écosystèmes. Cette
connaissance est mise au service de leur communauté, afin de produire la nourriture nécessaire
aux hommes et aux bêtes. Faute de moyens, ces agricultrices n'utilisent pas d'engrais :
la nourriture qu'elles servent est naturelle. Et les femmes "ont souvent une connaissance
plus grande et plus spécialisée des plantes sauvages que les hommes". Et toc!
L'ennui, c'est que tout ce beau savoir,
dont
les féministes sont conscientes, n'est pas reconnu. Dans l'octroi de crédits et dans
les différentes réformes agraires qui ont eu lieu dans plusieurs pays, la terre a
été attribuée à l'unité familiale représentée
par son chef. En un mot, à l'homme. Que celui-ci meure ou quitte
le foyer, ce qui est relativement courant, la femme se retrouve sans rien. Elle ne peut pas
formaliser la possession de sa terre.
Analysant cette question
particulière en Amérique latine, la FAO (décidément, c'est mon site fétiche cette semaine),
constate que si la parité hommes-femmes est bien inscrite dans la constitution, elle n'est pas
encadrée juridiquement sur le terrain et qu'il y "subsiste partout une culture patriarcale
et discriminante à l'égard des femmes"!
L'on sait l'impuissance de l'organisation que les pays riches, dans leur égoïsme monstrueux,
refusent de financer, préférant soutenir leurs multinationales dans leurs conquêtes sur le terrain.
Ces conquêtes sont de tous ordres : terres (combien de petits lopins voués à l'agriculture
de survie sont accaparés par de grands groupes qui y font de l'agriculture extensive, dont
la production est toute tournée vers l'exportation), semences (par le biais de la vente
de semences d'OGM, les paysans sont liés à un groupe transnational), culturelles
(transformation du mode de consommation qui en découle).
Au milieu de ces attaques venues de toutes parts, les femmes constituent un îlot de résistance.
Parfois contraint et forcé. Ce sont elles qui assurent la nourriture quotidienne de la famille,
elles qui font le pain, la galette et font cuire le riz. Elles qui tirent le maximum du minimum
qui est à leur disposition. Elles qui savent la valeur de chaque plante, son utilisation.
Elles qui rationalisent, réutilisent, recyclent. Mais au prix de quels efforts!
Une de mes amies originaire de Pologne m'a parlé récemment de sa tante qui vit à la campagne,
au sud de Cracovie. Elle fait son pain, cultive son jardin, élève ses poules... De tout cela,
elle tire sa nourriture. Les épluchures de pommes de terre, de carottes, de fruits, etc.,
repartent en engrais. Le papier est brûlé. Bref, hormis les emballages de sucre, de sel
et d'huile qu'elle achète à l'extérieur, elle ne produit aucun déchet. C'est une écologiste
parfaite. Sauf qu'elle trime du matin au soir depuis des années. "Même en Pologne, elle est
un cas à part", m'a confirmé mon amie.
Se
battre pour l'accès à la terre et la reconnaissance de la place des femmes, dans ce secteur-là
aussi, n'est pas suffisant. Il faut le faire en exigeant, parallèlement, tous les services qui
rendent la vie plus facile : accès à l'eau, à l'énergie, à l'éducation, aux moyens
de communication, terrestres et autres. Faute d'eau disponible à proximité de leur habitation,
de nombreuses fillettes sont mobilisées quotidiennement dans le monde pour cette corvée,
qui les oblige à couvrir des kilomètres avec une lourde charge. Cela les empêche d'aller
à l'école, d'apprendre à lire, à compter. Une réforme agraire n'est pas qu'une réforme
des modes d'acquisition de la terre. C'est une réforme de l'acquisition des savoirs.
De tous les savoirs, faute de quoi elle est vouée à l'échec.