Horreur, dégoût, colère... Comment qualifier les sentiments qui nous saisissent à lire le
rapport qu'a publié Human Rights Watch en juin 2002
sur les violences infligées aux femmes dans l’est de la République démocratique du Congo?
Comment croire que les Accords de paix de Lusaka, signés en 2002 par les présidents de la RDC
et du Rwanda voisins, soient réellement porteurs d’espoir? Quel espoir reste-t-il d’ailleurs aux
femmes mutilées, battues, agressées sauvagement, humiliées...
Car il s’agit de tout cela dans ce rapport abondamment documenté. Les enquêteurs de Human Rights Watch
se sont en effet basés sur de nombreux témoignages de femmes, de militant-es des droits humains, de
médecins. Ils concluent à l’existence d’une "violence sexuelle comme arme de guerre". Ils accusent
les combattants de tous bords (Rassemblement congolais pour la démocratie, soldats rwandais et leurs
opposants, Mai-Mai, groupes armés de Hutu rwandais et rebelles burundais) d’être coupables
de viols et de violences "parfois systématiques". "Ils ont attaqué des femmes et des filles parce
qu'elles représentaient leur communauté, visant par les blessures et l'humiliation à terroriser ces femmes
en particulier ainsi que de nombreuses autres", indiquent-ils.
Des policiers et "d'autres personnes occupant des positions d'autorité et de pouvoir", des criminels de
droit commun et des bandits ont également profité "du climat d'impunité généralisée et de la culture de
violence pour abuser des femmes et des filles".
"Il y a une vraie folie avec toute cette violence. C'est une vraie guerre dans la guerre, une
autre forme d'attaque contre le peuple congolais", a déclaré un conseiller qui travaille avec des
femmes et des filles ayant subi un viol et d'autres formes de violence sexuelle. Aucune femme n’a
été épargnée, ni les femmes enceintes, ni les mineures, ni les fillettes, ni les vieilles femmes.
Les assaillants s’en sont pris aux femmes avec une brutalité particulière, les frappant, les blessant,
les pénétrant avec des bâtons et d'autres objets, mutilant leurs organes sexuels au moyen
d'armes telles que des couteaux ou des lames de rasoir. Parfois ils introduisaient leur fusil dans le
vagin de la femme. Le viol accompli, certains n’ont pas hésité à tirer.
Les victimes nécessitent toutes des soins médicaux, pour leurs blessures et suite au viol (descente
d'utérus, grave déchirure vaginale, fistule...). Certaines femmes et filles se sont retrouvées
enceintes suite au viol qu'elles avaient subi. Les risques d’expansion du VIH et du sida sont réels. Les
traumatismes psychologiques sont profonds.
Beaucoup d’exactions n’ont pas été dénoncées. Si un nombre important de femmes et de filles de Shabunda,
une ville du Sud Kivu, ont admis avoir été violées, c’est grâce à la présence d’un groupe de soutien aux
victimes et des soins apportés gratuitement aux femmes et aux filles par une organisation
internationale.
Un autre effet de la guerre a été l’enrôlement de force de nombreuses femmes dans les troupes, où elles
servent de porteuses, notamment du butin lors de razzia. Là aussi, elles sont soumises à
l’esclavage sexuel au profit des combattants, ou sont envoyées comme espionnes dans les rangs ennemis.
C’est également ce qui attend de nombreuses filles devenues orphelines suite au conflit, ou
dont les parents ont disparu. Goma, une des principales villes du sud Kivu, enregistre un nombre
important d’enfants qui hantent les rues, vivent de rapines et de larcins quand ils ne sont pas engagés
d’office dans les troupes armées. Les filles se rabattent sur la prostitution "de survie".
Enfin, une autre conséquence, et non des moindres, est la diminution de l’approvisionnement en
nourriture et biens de consommation courante dans plusieurs endroits de la région. Les principaux
commerçants locaux sont des femmes et des filles qui distribuent le manioc, la braise, les noix
de palme, le poisson, le sel et le savon... Craignant d’être violées ou tuées, de moins en
moins de femmes s’aventurent sur les routes. Des soldats et d'autres combattants ont également attaqué
et violé des femmes qui travaillaient dans les champs.
La situation n’est guère plus reluisante dans les camps de réfugié-es. Une équipe de Refugees
International de retour
de Tanzanie rapporte que, dans ce camp où cohabitent quelque 500.000 Congolais-es et
Burundais-es, les employé-es des ONG qui s’occupent des femmes victimes de violence parlent
surtout de violence domestique. Celle-ci représenterait quelque 80% des cas qui leur sont soumis. Les viols et tentatives
de viols arrivent en second lieu. De plus en plus de mineures âgées de moins de dix ans dénoncent
les abus dont elles sont l’objet.
Il faut à tout prix lire le rapport de Human Rights Watch, même s’il est insoutenable. Parce qu’il faut à tout prix
dénoncer la folie de ces brutalités incroyables dont de nombreuses femmes et fillettes ont été victimes.
À lire aussi : le rapport publié
par le Centre international pour les droits de l'homme et le développement démocratique, une ONG
canadienne, qui confirme ces allégations. Militant-es des droits humains en RDC,
Lisette Banza Mbombo et Christian Hemedi Bayolo ont analysé la situation dans "La femme
dans la tourmente des guerres en République démocratique du Congo : Du 2 août
1998 au 30 septembre 2001 - Le Mémorial".
Après avoir décrit la situation des femmes
congolaises dans le contexte du conflit armé actuel et les conditions de leur participation au processus de paix en cours, il dresse des tableaux
synoptiques des violences subies par les femmes.
Il abonde en témoignages. Les auteur-es réclament la création par les Nations Unies de commissions d'enquête indépendantes
afin de "déterminer l'ampleur totale de la violence et identifier tous les responsables, quel que
soit leur statut (politique, militaire, civil, officiel, non officiel, national ou étranger...),
compte tenu de la gravité des faits présentés dans ce document".
Brigitte Verdière, 24-08-02