par Brigitte Verdière
Un anti-démocrate de plus vient d'entrer dans le groupe des pays les plus industrialisés de la
planète. Cette belle recrue s'appelle Vladimir Poutine. Il est le président d'un pays en dérive
totale, que ce soit sur le plan des droits, de l'économie ou de la justice : la Fédération de Russie.
C'est pourtant un grand et beau pays, la Russie, qui a réalisé beaucoup de choses, envoyé des hommes
dans l'espace, construit des barrages, des routes, des chemins de fer. Cela s'est fait au prix
d'une colonisation, par les Russes, des autres peuples qui composaient alors l'Union Soviétique.
Cela s'est fait au prix de millions de morts déportés sous Staline. Au prix de famines et de la liberté.
Je me base beaucoup sur le livre du reporter polonais Ryszard Kapuscinski,
Imperium,
dont la traduction est parue en 10-18. Il retrace brillamment le processus de déshumanisation mis
en place par le régime stalinien où les déplacements incessants de populations ont fait perdre aux
gens tout sentiment de révolte et toute capacité d'analyse critique. Il décrit l'assèchement
progressif de la mer d'Aral afin de faire pousser du coton au détriment des cultures vivrières.
Il rappelle le conflit en Arménie, les camps de concentration en Sibérie, et décrit la misère économique
qui règne encore dans le pays malgré l'effondrement du communisme.
Il termine son texte ainsi : "l'Occident, qui est fasciné par la Russie mais en même temps en a peur,
est toujours prêt à lui venir en aide, ne serait-ce que pour sauvegarder sa propre tranquillité.
L'Occident refusera d'aider certains mais il aidera toujours la Russie."
Et voilà, tout est là. Au nom de cette " tranquillité ", des soi-disant pays démocratiques sont
ravis d'appuyer un dictateur incapable d'instaurer l'État de droit dans son pays.
Dans un rapport paru en avril 2002,
Guy-Michel Chauveau, rapporteur pour l'OTAN, organisme que l'on ne pourra qualifier de gauchisant,
explique la toute-puissance du crime organisé et des mafias qui gangrènent la société. Pour le peuple,
cela se traduit par une pauvreté extrême, un climat de violence et de gabegie généralisé.
L'alcoolisme et le sida gagnent du terrain. Le choléra et la tuberculose ont répparu. L'espérance
de vie tourne autour de 60 ans. La violence conjugale est en hausse constante, en rapport avec
la dégradation des conditions de vie.
En 1999, le site Fraternet citait des
chiffres sur la violence faite aux femmes
dans la Fédération de Russie. Je les reprends, même s'ils datent de quelques
années :
chaque année, 14.000 femmes sont tuées par leur mari ou par un membre de leur famille;
des 331.815 crimes contre les femmes signalés en 1993, 14.000 étaient des viols;
environ 11.000 femmes ont été victimes d'un viol ou d'une tentative de viol en 1996.
En avril 2002 a eu lieu au théâtre de la Colline, à Paris, une rencontre sur la situation en Tchétchénie
où, au nom de la lutte contre le terrorisme, les troupes russes commettent les pires violations
des droits humains. Parmi celles-ci, il y a les viols des épouses de rebelles
que dénonce
Human Rights Watch. Restées seules au foyer, les femmes sont molestées, battues, violées, parfois sous les yeux de leurs
enfants. Souvent, elles n'osent pas porter plainte.
Toutefois, une association regroupe des mères de conscrits de l'Armée rouge. Ce mouvement
a d'abord existé de façon non organisée. Un peu partout dans le pays, des femmes ont commencé à
manifester dans les rues. Elles le font de manière silencieuse. Ce qu'elles demandent, ce sont
des mesures contre la violence qui règne
dans l'armée, "le bizutage, les maladies et la malnutrition
(qui) coûtent chaque année la vie à 3.500 recrues", selon M. Chauveau.
Kapuscinski parle des ces "femmes vêtues en noir... tendant devant elles la photographie de leur
fils ou de leur fille décédés". Elles "voulaient que les passants s'arrêtent, prennent la photo
de leur enfant, examinent leur visage jeune et souvent magnifique". De la compassion, rien de plus.
Lors de la rencontre
d'avril 2002 à Paris, Elia Poliakova, la présidente de l'association "Mères
de solats" de Saint-Petersbourg a "demandé pardon, au nom du peuple russe, pour toutes les exactions
commises en Tchétchénie". Elle voulait dire à tous et à toutes que "la société civile russe refuse manifestement
la guerre".
Un autre effet de la décomposition générale qui règne en Russie est la prostitution. Tapez
"femmes russie" dans n'importe quel moteur de recherche Internet, et les premiers sites qui
émergeront seront des sites de rencontres avec de jeunes femmes russes. Elles s'appellent Anna,
Ekaterina, Elena, Julia... Elles ont de 18 à 20 ans, sont étudiantes. Ces agences servent
de relais aux mafias pratiquant le trafic des femmes.
Dans un article très documenté sur ce sujet, le Monde Diplomatique parle des profits immenses que
font ces revendeurs de chair humaine. Il évoque les violences, brutalités, tortures que subissent
les jeunes femmes sur qui ils ont mis le grappin, quand ils ne vont pas jusqu'à les assassiner.
Le texte parle aussi de véritables "marchés aux esclaves" dans ville de Brcko en ex-Yougoslavie
où les femmes sont déshabillées et exhibées avant d'être vendues aux enchères.
Encore faible, la société civile se recompose peu à peu. Pour le moment il n'y aurait que 1,5% à 2%
de la population engagée dans des actions de militantisme. Le souci de la vie quotidienne, allié
à une peur qui reste tenace, empêchent une plus grande implication. Plus pour longtemps, espérons-le.