par Brigitte Verdière
Les femmes en marche sont décidément une vieille histoire. Une fois n'est pas coutume, mais j'avais
envie de vous parler d'histoire, mais pas d'une histoire fossilisée. Non, une histoire vivante.
C'est un de mes vieux béguins. Une grande dame à qui je souhaite rendre hommage et qui a sa place
dans notre site. Vous allez voir à quel point elle est moderne et contemporaine.
Elle, c'est Louise Michel,
la communarde, l'anarchiste, la franc-maçonne, la féministe. Ouf! que de qualificatifs
pour l'époque! Et on pourrait même dire qu'elle initia un mouvement de lutte internationale.
Un peu d'histoire pour la situer : née en 1830 dans la province française, de père inconnu. Amoureuse
de la nature, des bêtes : elle puisa ses premières révoltes dans les injustices de cette même nature!
Elle fut institutrice pour transmettre et former. Pour agir comme elle le souhaitait, elle dut créer
sa propre école. Les autorités n'aimaient pas ses méthodes pédagogiques. Elle défendait pourtant
les idées qui portèrent toute la philosophie de l'éducation laïque française : celles du progrès.
La raison vint de son engagement politique. Féministe (ces dames sentaient le soufre, on les appelait
des "pétroleuses"). Elle fut aussi anarchiste
et révolutionnaire. En décembre 1870, alors que les Prussiens encerclaient Paris, elle participa
à une marche des femmes qui voulaient être enrôlées pour la défense de Paris. Elle fut arrêtée et passa
deux jours en prison. Le parler haut et fort, déjà, on n'aimait pas à l'époque! Elle passa néanmoins du
temps sur le pavé des barricades participant activement à la
Commune de Paris où le petit peuple tint le pavé des rues pendant plusieurs mois. Pavé physique,
pavé qui servit aux barricades. Les dernières tombèrent dans ce qui est, encore aujourd'hui, un des
quartiers les plus populaires de Paris : Belleville. La môme Piaf y naquit.
En 1871, Louise Michel fut traduite devant le Conseil de guerre. Elle répondait à sept chefs
d'accusation : attentat visant à renverser le gouvernement, incitation à la guerre civile, port
et usage d'armes sous un uniforme militaire dans le cadre d'un mouvement insurrectionnel, faux
en écriture privée, usage de faux papiers, complicité d'assassinat d'otages, complicité
d'arrestations illégales.
Ce sera l'exil, avec vingt autres femmes, vers la Nouvelle-Calédonie où elle se mit derechef à faire
la classe aux Canaques et à apprendre d'eux. Elle en revint encore plus affermie dans ses convicitons.
"À force de comparer les choses, les événements, les hommes, ayant vu à l'oeuvre nos amis de la
Commune, si honnêtes qu'en craignant d'être terribles, ils ne furent énergiques que pour jeter leur
vie, j'en vins rapidement à être convaincue que les honnêtes gens au pouvoir y seront aussi incapables
que les malhonnêtes seront nuisibles, et qu'il est impossible que jamais la liberté s'allie avec
un pouvoir quelconque", écrivit-elle alors. Et, en juillet 1878, quand une révolte de Canaques éclata dans les plantations, elle s'écria, selon
sa biographe Paule Lejeune : "Peuples de Paris, Canaques, même combat".
Ça, c'est l'aspect international avant l'heure. Mais que je vous reparle un peu de son féminisme.
Louise avait un sentiment profond de la capacité d'agir des femmes. Relatant la marche, elle écrivit :
"Les femmes ne se demandaient pas si une chose était possible mais si elle était utile, alors on
réussissait à l'accomplir".
C'est avec le même sens pratique qu'elle institua la compagnie d'ambulancières dont elle fit partie
durant le siège de la Commune : "Un jour il fut décidé que Montmartre n'avait pas assez d'ambulances,
alors avec une amie de la société d'instruction élémentaire, nous résolûmes de la fonder. Il n'y
avait pas un sou mais nous avions une idée pour faire les fonds. Nous emmenons avec nous un
garde national, de haute taille, à la physionomie d'une gravure de 93, marchant devant, la baïonnette
au fusil. Nous, avec des larges ceintures rouges, tenant à la main des bourses faites pour la
circonstance, nous partons tous les trois chez les gens riches, avec des visages sombres. Nous
commençons par les églises, le garde national marchant dans l'allée en frappant son fusil sur
les dalles; nous, prenant chacune un côté de la nef, nous quêtons en commençant par les prêtres
à l'autel. À leur tour, les dévotes, pâles d'épouvante, versaient en tremblant leur monnaie dans
nos aumônières - quelques-unes d'assez bonne grâce - tous les curés donnaient; puis ce fut le tour
de quelques financiers juifs ou chrétiens, puis de braves gens, un pharmacien de la Butte offrit
le matériel. L'ambulance était fondée."
Eh, c'est pas joli, ça? Bien sûr, tout cela pour le peuple, pour la révolution. Avec violence si
nécessaire. Du pacifisme, elle n'hésite pas à se moquer : "Comme si un moyen pacifique contre la bêtise
et la méchanceté des bourgeois était possible! Non, il n'y a de vrai que la lutte! La lutte où
nous savons que nous resterons!" Et c'est là le beau! Conséquente, elle souhaite une "prise
de possession" des biens, un mot qu'elle préfère à expropriation "puisque expropriation impliquerait
une exclusion des uns ou des autres, ce qui ne peut exister, le monde entier est à tous, chacun
prendra ce qu'il lui faut".
Le but est "l'appropriation de la terre par tous, la nourriture pour tous, la disparition de toutes
les misères, la négation de tous les gouvernements, l'ouverture des prisons. Ce que nous voulons,
c'est l'application des trois mots qui ne reflètent que des mensonges sur nos monuments publics".
Entendez : liberté, égalité, fraternité.
Le plus dommage finalement dans Louise Michel, c'est qu'elle soit encore terriblement d'actualité.
Cela veut dire que le monde n'a pas progressé d'un pouce. Depuis le temps, on espérait mieux.