L E   P O I D S   D E S   P H O T O S 13-09-04

par Brigitte Verdière


"Le poids des mots, le choc des photos". Ce slogan a été inventé par le magazine Paris Match. C'était un bon slogan, un slogan vendeur pour ce que Paris Match promeut : des reportages sensationnels, des révélations inédites empreintes de beaucoup d'émotion et de passion. Dans ces publications, les images, encore plus que les textes, étaient là pour horrifier, scandaliser, et surtout susciter en nous ce vilain petit côté voyeur du malheur des autres qui permet de se rassurer in peto : "Vraiment, il y en a qui vivent des situations pas possibles".

Too young to Wed Vous l'avez compris, c'est d'images que je souhaite vous parler aujourd'hui, si tant est que les images aient besoin de mots. Celle qui a suscité en moi cette réflexion? La première d'une exposition réalisée par l'International Center for Research on Women, Too young to Wed (Trop jeunes pour se marier).

Vous la voyez, cette petite fille, toute menue à côté de son immense mari, rehaussé encore par un turban sur la tête? Oui, on vient de la marier et peut-être ainsi, de la condamner à mort. Le nombre de jeunes filles décédant suite à des grossesses précoces est difficile à évaluer (selon l'UNICEF, 515.000 femmes sont mortes en couches dans le monde en 1995 et au moins trois fois plus ont connu des complications menaçant gravement leur santé, telles que la fistule obstétricale). Dans pas longtemps, le monsieur immense sur la photo, qui est sans doute aussi victime que sa jeune épouse des conventions sociales, la déflorera. Il ne pourra que la brutaliser tant elle est encore menue pour lui. En termes clairs, cela s'appelle un viol.

Cette photo est celle d'un viol en puissance. D'une personne, mais aussi de toutes les petites filles que l'on marie parfois dès l'âge de 7 ans, faisant fi de la Convention relative aux des droits de l'enfant qui précise également (art. 24, par.3) que "Les Etats parties prennent toutes les mesures efficaces appropriées en vue d'abolir les pratiques traditionnelles préjudiciables à la santé des enfants". Or, outre la mortalité des adolescentes à l'accouchement, note encore l'UNICEF, celles-ci "sont plus vulnérables aux infections sexuellement transmissibles, y compris le VIH/SIDA". L'organisation ajoute que la maltraitance "est fréquente dans les mariages d'enfants. En outre, il arrive souvent que les enfants qui refusent de se marier ou qui choisissent leur futur conjoint contre la volonté de leurs parents soient punis, voire deviennent victimes de crimes d'honneur commis par leur famille".

Vous voyez tout ce qu'une photo peut susciter comme réflexions? Et je ne suis pas une spécialiste en sémantique, ni une philosophe. Je vous ferai grâce de certains rappels (hé! l'astuce pour quand même en parler!) comme celle de Kim, cette petite fille vietnamienne courant nue, arrosée de napalm dans les rues de Trang Bang au Vietnam en 1972, et qui a constitué un tournant dans cette guerre, et le rapprochement que l'on peut désormais en faire avec l'occupation des troupes étatsuniennes en Irak.

Remarquez, il faut que la photo soit un peu vilaine. Sebastiaõ Salgado, un merveilleux photographe brésilien qui a parcouru son pays et le monde pour dénoncer la pauvreté extrême, s'est souvent vu reprocher le côté esthétisant de ses photos. On a fait le même reproche à la photo, pourtant poignante, de cette femme algérienne (pdf) exprimant sa souffrance après le massacre de ses proches à Benthala en 1997. Mme Oud Saad, qui est cette femme sur la photo, a d'ailleurs porté plainte contre son auteur et des responsables de l'AFP.

Ces allusions pourraient m'entraîner loin dans la discussion : faut-il tout montrer? jusqu'où un photographe peut-il aller, toutes questions qui ont été relancées par la publicité faite autour de la prise d'otages en Ossétie du Nord. Non, je ne me lancerai pas dans ce débat, sauf pour avancer que oui, il faut montrer, mais en expliquant car une photo sans mots est parfois une photo incomprise ou détournée de son sens. Et non sans appel, si on veut faire du sensationnalisme.

Mais il y a une manière humaine de montrer. Une manière utile. Si, dans les années 1930, Dorothea Lange et d'autres photographes tout aussi talentueux n'avaient pas photographié les fermiers victimes de la dépression économique, on n'aurait rien su de ces laissés pour compte de l'économie. Lange a aussi montré les femmes travaillant dans les industries d'armement. Aujourd'hui elle aurait certainement photographié les sans abri dans les rues de New York ou d'autres grandes villes étatsuniennes.

Le magazine québécois l'Actualité témoignait récemment de l'intérêt croissant des Québécois-es pour les films documentaires. Voilà une bonne nouvelle qui laisse espérer des images qui remueront, qui toucheront, des images de la vie de tous les jours quand elle est belle et même moins belle. Des images qui sont parfois d'immenses moments d'humanité. Et quand je dis cela, je pense à une photo précise d'Henri Cartier Bresson, récemment disparu. Cette photo, vous ne la trouverez pas sur le site dont je vous parle. Je ne sais pas où elle est. J'en ai perdu la copie. C'était celle d'un douanier à la frontière quelque part au nord de la France et le sud de la Belgique. Il avait neigé. On voyait qu'il faisait silence. Le douanier ouvrait la barrière. Il était seul, il souriait. Sans doute est-ce parce que j'ai vécu toute mon enfance si près d'une frontière de ce genre, mais cette photo m'a fait reculer dans des sensations ouatées. La sensation d'un monde oublié. C'était une belle photo. Enfin une.




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Qu'avons-nous fait?

Les photographies ont l'inégalable pouvoir de définir ce que l'on retient des événements et il est vraisemblable que, partout aujourd'hui, des gens assimilent la sale guerre que les Étatsuniens ont déclarée à titre préventif à l'Irak en 2003 aux clichés de détenus irakiens torturés à Abou Ghraib, la plus infâme des prisons de Saddam Hussein. Un article de Susan Sontag publié le 24 mai 2004 par le Guardian et traduit par Pax Humana.

Les soldats étatsuniens qui ont participé à la "Tempête du désert" dans le sud de l'Irak en 1991 ont eu par la suite des enfants gravement handicapés. Ils luttent pour recevoir de l'aide du gouvernement des États-Unis. Durant cette guerre, l'armée étatsunienne a utilisé pour la première fois de l'uranium appauvri qui continuera de causer des difformités et des cancers pendant des milliards d'années.




Les mariages d'enfants doivent cesser

Un rapport de l'UNICEF, Early Marriage: Child Spouses (pdf), indique que des millions d'enfants, en majorité des filles, doivent se marier très jeunes. Entre autres, il fait la lumière sur la façon dont le mariage précoce contribue à leur interdire l'accès à l'éducation. Soulignons également qu'il les expose à la fistule obstétricale (pdf), une infirmité dévastatrice liée à la grossesse. Armé de statistiques montrant que, dans certains pays, la moitié des filles sont déjà mariées à l'âge de 18 ans, l'UNICEF demandait en 2001 que soit organisée une campagne globale contre le mariage d'enfants.

Pages reliées :
Un avenir sombre pour les très jeunes épouses souffrant de fistules obstétriques, 03-04

New Report Maps Fistula in Africa, 18-06-03

Grande-Bretagne : Multiplication des mariages forcés, 03-03-04



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Édition Web et mise en ligne : Nicole Nepton