par Brigitte Verdière
Au début de ma carrière de journaliste, alors que je travaillais pour un mensuel belge
d'information nommé Voyelles, Chayé
éditait, chaque mois, une planche de ses Oiseux. On était encore dans la pleine époque Brétecher,
avec ses madames revendicatrices, un brin frustrées, en pleine crise existentielle et de rapports
amoureux avec l'autre sexe, mais tellement drôles, car on riait de nous-mêmes de bon coeur. Les
Oiseux de Chayé étaient des oiseaux, tracés en deux coups de pinceau, qui se posaient eux aussi
des questions sur la place que l'on occupe dans la société, le présent et l'avenir. Ils étaient
désopilants. J'ai gardé l'unique album de cette dessinatrice belge et, quand j'y replonge,
c'est chaque fois avec le même plaisir.
Je ne vous l'apprendrai pas : rire est bon pour la santé. Pas besoin d'avoir fait dix années
d'études pour adhérer à ce principe. L'absurde, le cynisme, la dérision… autant de genres qui
existent depuis belle lurette. L'humour est un domaine que les femmes investissent peu à peu,
même si les caricaturistes sont encore trop rares. Mais le rire est une arme, même dans les moments
ultimes, même si ce rire est teinté de larmes comme l'a si bien démontré Roberto Benigni
dans son film La vie est belle. Il dit d'ailleurs : "Rire nous sauve, voir l'autre côté des choses,
le côté irréel et amusant, ou réussir à l'imaginer, nous aide à ne pas être réduits en miettes,
à ne pas être écrasés comme des brindilles, à résister pour réussir à passer la nuit, même
quand elle s'annonce très très longue. Dans ce sens, l'on peut faire rire sans blesser personne :
l'humour juif est téméraire."
Cette témérité, une jeune femme irakienne en a aussi fait preuve. Face à un quotidien devenu
extrêmement difficile pour les femmes (insécurité dans les rues qui obligent la plupart des femmes
et jeunes filles à rester chez elles ou à ne se déplacer qu'accompagnées d'un chaperon "mâle",
imposition de lois musulmanes, cherté des produits, etc.), Ashtar Jassim Al-Yasari
âgée de 24 ans, a lancé un hebdomadaire satirique : "Habez Bouz". Il s'agit en fait d'une renaissance
car un journal du même nom existait déjà à Bagdad dans les années 1920. Al-Yasari parle de la période
actuelle que vit l'Irak, mais elle dénonce aussi la situation qui prévalait sous Saddam Hussein.
"Vu les circonstances, tout autour de nous est ironique, et la seule façon de respirer est d'en rire",
affirme-t-elle. Ceux qui ont quelque peu vécu sous une dictature savent de quoi elle parle.
Cela m'amène à reparler d'un monsieur que nous aimons toutes, j'en suis sûre. Pour sa façon d'être,
d'oser et de dénoncer. Je viens en effet de terminer, parmi les derniers écrits drôles (drôles
et intelligents bien entendu), Mike contre attaque (Stupid white men en anglais), l'avant-dernier
livre de l'ineffable, mais ô combien sympathique, Michael Moore.
Comme dans son film Bowling for Columbine, il parle de choses sérieuses sur le mode drôle,
arrivant à nous faire réfléchir avec des propos graves et à nous faire rire avec des faits dramatiques.
Des Étatsuniens de gauche ont emboîté le pas. Radio Air America
est en ondes depuis le 31 mars 2004, avec l'humoriste Al Franken
"bête noire de la droite américaine". Son titre, "The O'Franken Factor" est calqué sur celui
de l'émission de l'animateur Bill O'Reilly sur la chaîne Fox. L'actrice Janeane Garofalo,
fait partie de l'équipe. Bien sûr, il n'y aura pas que de l'humour. Radio Air America se veut une voix
progressiste s'insurgeant contre le monopole sur la radio exercé actuellement par les conservateurs
aux États-Unis.
Certaines et certains se demandent encore si les femmes ont de l'humour, comme on se demandait
autrefois si elles avaient de la cervelle. Lucie Joubert vient de consacrer une
étude à la question, L'Humour
du sexe - Le rire des filles, sondant le rire des Québécoises. En fait, ce que je comprends de ses propos,
c'est que le public féminin, lui aussi, manque d'humour ou d'indulgence envers les femmes. Pourtant,
je ne suis pas la seule à avoir ri aux Monologues du Vagin, malgré la cruauté de certains propos.
J'avoue que le Vagin en colère m'a littéralement trouvée écroulée de rire, l'interprétation jouant
certes un rôle important dans mon état. À l'encontre de Joubert, et parce que le propos était tel,
il n'y avait là que références à "ce qui se passe en-dessous de la ceinture". Et pourtant je ne
suis guère friande d'histoires de seins, de règles, de ménopause et j'en passe.
En fait, je serais d'accord avec Lise Dion pour dire que "Le monde de l'humour n'est ni masculin, ni féminin". Pourvu qu'il soit bon,
qu'il nous fasse du bien… Si en plus, il
peut être engagé, alors vive le rire!