par Brigitte Verdière
Je vous parlais récemment de la force des écrits. Voici un ouvrage qui va bien dans le sens de mes
propos. Intitulé Où sont les filles?,
il est édité par Droits et démocratie et porte sur un phénomène peu connu, celui des fillettes enrôlées
dans les armées, qu'il s'agisse des armées gouvernementales régulières, celles des forces paramilitaires,
des milices ou des groupes d'opposition armée. On connaît mieux
le phénomène des garçons soldats,
mais les petites filles sont elles aussi obligées de porter les armes, de combattre, de terroriser,
de mutiler et de tuer. Outre les sévices, brimades, conditionnements physiques et psychologiques
qui transforment des enfants en tueurs, elles sont violées et deviennent les esclaves sexuelles
des combattants. Une fois la situation normalisée, elles sont les grandes oubliées des programmes
de désarmement, de démobilisation et de réintégration (DDR).
Susan McKay et Dyan Mazurana,
qui en sont les deux auteures, décrivent les besoins spécifiques des
filles pour retrouver une vie normale. Elles cherchent à sensibiliser les bailleurs de fonds
canadiens et autres (Agence canadienne de développement international (ACDI), Nations Unies, etc.),
les gouvernements des pays touchés par la guerre et les organisations gouvernementales et non
gouvernementales à la nécessité de concevoir des mesures et des programmes pour protéger les
filles dans les situations de conflit armé et pendant l'après-guerre.
Leur document se base sur l'analyse de la situation dans quatre pays africains où des guerres se
sont déroulées ces dernières années : le Mozambique (1976-1992), le nord de
l'Ouganda (de 1986 à aujourd'hui), la Sierra Leone (1991-2002) et la
République démocratique du Congo. Les petites
filles enrôlées effectuent les corvées domestiques. Elles portent les messages, sont chargées
d'espionner. Elles servent d'esclaves sexuelles aux combattants, étant souvent attachées à un
seul homme. Les auteures estiment que dans 34 des 55 pays où de telles pratiques existent,
les fillettes combattent souvent sous l'emprise de la drogue et de l'alcool. Quand elles refusent
d'obéir ou tentent de s'échapper, elles sont battues, précise Amnistie
internationale qui a aussi étudié le phénomène.
L'organisme évalue à plus de 300.000 le nombre d'enfants de moins de 18 ans forcés
de se battre dans des conflits armés dans plus de 30 pays -
dont 50% sont des filles,
en Ouganda, en Sierra Leone et au Mozambique. Si les combattantes et combattants ont en général de 15 à 18 ans,
le recrutement a souvent lieu dès l'âge de 10 ans et même moins. Certains enfants, note Amnistie,
rejoignent spontanément les forces armées pour "des raisons de stratégie pure pour leur survie :
manger, boire, un endroit où dormir, un réseau social. Les enfants s'engagent pour ne plus être seuls,
pour se venger de ce qui est arrivé à leur famille, après avoir été eux-mêmes maltraités ou avoir
été témoins de mauvais traitements..." D'autres sont enlevés de force et enrôlés. Un peu partout,
les entraînements sont particulièrement éprouvants et les jeunes filles, même enceintes, sont forcées
d'y participer.
Échec de la réinsertion
Le point fort de l'étude est d'insister sur l'échec pour les filles des politiques de réinsertion de la plupart
des gouvernements et organismes. Car, une fois le conflit achevé, il n'y a souvent
aucun programme spécifique pour elles. Les jeunes interrogées souhaiteraient reprendre une scolarité,
suivre une formation professionnelle, mais sans soutien, que faire? Rentrer dans leur communauté est
souvent impossible. Des filles sont rejetées parce qu'elles ont été violées. Souvent elles ont
eu un ou des enfants, quand elles n'ont pas, au contraire, été obligées d'avorter, comme cela
semble être la pratique dans certaines groupes comme
les Forces armées révolutionnaires colombiennes.
J'ai déjà évoqué ce phénomène dans un texte sur les Bosniaques
et dans d'autres écrits sur les crimes d'honneur.
Les victimes sont doublement victimisées. Celles
et ceux qui devraient les aider se transforment en bourreau. Les petites filles, sans ressources,
se retrouvent à la rue, se prostituent, avec le risque de contracter des maladies. La propagation
du VIH/sida est importante chez ces fillettes. Un volet qui fait également cruellement défaut
est le soutien psychologique dont ces jeunes filles ont besoin. La question est toujours la même :
comment continuer à vivre? Comment reconstruire sa vie?
Dans certaines sociétés africaines qu'elles ont étudiées, Mme McKay et Mazurana ont observé "des
rituels collectifs qui visent à les réintégrer au sein de la communauté et à protéger cette dernière".
Mais là où rien de tel n'existe, l'avenir semble bien noir. D'autant plus que "les hostilités et
l'idéologie militariste intensifient le sexisme", ont-elles constaté, et que, rappelons-le,
les gouvernements sont souvent ceux-là même qui embrigadent les enfants. Le livre se termine par
une présentation de mesures à adopter pour aider les petites filles à "reprendre leur vie en main".
Maudit pays imaginaire!
par Catalina Guerra
Une fillette, enterrée jusqu'au cou, dans un Armero qui n'existe déjà plus, un garçonnet mourant
de cancer dans un pays qui, également, n'existe plus. C'est un pays fictif, où les fils n'ont pas
de père, et les mères pleurent les fils qui n'existent plus.
C'est une mort lente celle de ce pays fictif qui éteint ses fils un à un. Une mort comme celle
du garçon de la presse, comme celle de la fillette d'Armero.
Maudit pays imaginaire!
Nous regardons, nous, les enfants, terrorisés, le pays fictif nous enlever nos parents et nous
ensevelir lentement dans une avalanche de fumier. Nous mourons là, les enfants. Lentement, à
la lumière des caméras et des journaux du monde.
La mort arrive, lente, dans ce pays fictif, elle s'assied à tes côtés, silencieuse, comme la faim.
Elle te donne la main, la mort lente, te caresse, te rappelle que tu es une fillette fictive dans
un pays imaginaire, où la vie est mourir.
Maudit pays imaginaire!
Et moi je me lève, je touche ma peau, je ne suis pas encore tout à fait morte, pas comme la fillette
qui mourut dans la boue, ni comme le garçonnet naufragé dans la presse. Je prends la mort par la main,
doucement, et je chemine, dans le pays imaginaire, à la recherche de cette enfance perdue.
Je cherche un père pour lui donner un fils, un fils pour le ramener à une mère, je cherche un frère qui perdit la trace de sa soeur. Je cherche encore la tombe vide, je cherche à cheminer vers un village fictif et entendre au loin le tumulte d'enfants inexistants mais gais, je cherche le fils qui n'est pas parti, celui qu'ils n'emmenèrent pas, celui qu'ils ne ramenèrent pas déchiqueté.
Maudit pays imaginaire!
Viens, si tu vis encore, si tu n'es pas déjà mort de la mort lente de l'enfance arrachée, oui, viens...
Cherchons un enfant qui meurt lentement, serrons-le sur la poitrine, donnons-lui la vie,
cherchons-lui son père, faisons-le rire avec des contes extravagants de cités lointaines
et imaginaires, faisons-le pleurer avec notre bonté.
Dans un pays fictif, où l'enfance meurt d'une mort lente imaginaire, on cherche un acte d'amour,
spontané, juste, décisif. Un seul, avant de mourir.
Poème publié dans Latin Reporters