RAPPORT DU COMITÉ DE RÉFLEXION SUR LA PROSTITUTION
ET LE TRAVAIL DU SEXE
Document de travail préparatoire à la tournée provinciale de l'automne 2001
Fédération des femmes du Québec, août 2001
TABLE DES MATIÈRES
Avant-propos
Introduction
DEUX VISIONS
Volet international
Volet national
TRAVAUX DU COMITÉ
NÉCESSITÉ D'AGIR
LUTTE DES TRAVAILLEUSES DU SEXE : PERSPECTIVES FÉMINISTES
Le travail du sexe : différents jobs, différentes conditions...
Le concept du travail du sexe : une stratégie
Pute et criminelle
Mondialisation
IMAGINER ET TRAVAILLER POUR UN MONDE où les femmes auront le droit de ne pas être prostituées
La violence envers les femmes
La pauvreté des femmes
La mondialisation de l'industrie du sexe
Le modèle de la sexualité proposé par l'industrie du sexe
Éliminer l'exploitation sexuelle pour l'ensemble des femmes et la stigmatisation des travailleuses du sexe : des pistes de solution
RECOMMANDATIONS
ANNEXES
Code criminel du Canada
Quelques définitions
A V A N T - P R O P O S
Le comité de réflexion de la FFQ sur le travail du sexe et la prostitution est heureux de
vous présenter un document de travail dont le but est de favoriser les discussions au sein du
mouvement des femmes.
Le présent document comporte 5 sections :
- Une introduction
- Un texte de Claire Thiboutot, travailleuse dans le groupe Stella
- Un texte de Nicole Kennedy, ex-travailleuse et militante au Centre d'éducation et d'action des femmes de Montréal
- Les recommandations du comité
- Les annexes
Vous serez sans doute frappées par les différences de points de vue et de langage qui s'expriment à
travers les deux textes qui sont au coeur de notre document. Ceux-ci représentent les positions
défendues par nos deux collègues, Claire Thiboutot et Nicole Kennedy. Nous avons choisi de vous
les livrer telles quelles, respectant ainsi le fait que des divergences sérieuses existent dans
le mouvement des femmes à propos de la prostitution et du travail du sexe. Par contre, vous verrez
aussi que nous nous sommes entendues sur des recommandations
que nous vous présentons et dont nous aimerions discuter avec vous.
Ce paradoxe est intéressant et important. Voilà un comité qui n'arrive pas à un consensus sur l'ensemble
de la question mais qui trouve le chemin d'un accord relativement solide lorsque vient le temps
d'identifier des recommandations. Il est donc possible de continuer à débattre vigoureusement sur
la prostitution et le travail du sexe et, en même temps, de nous entendre sur le respect des droits
fondamentaux des femmes concernées au premier chef, les travailleuses du sexe elles-mêmes.
Notre but premier est en effet de poursuivre la réflexion dans le sens de la revendication adoptée
en octobre 1999 par la Coalition nationale des femmes contre la pauvreté et la violence faite aux
femmes. Il nous faut passer à l'action et ce, de façon urgente et concrète pour éliminer toutes
les formes de discrimination subies par les prostituées et travailleuses du sexe. Cela ne dispose
pas des réflexions à plus long terme et nous croyons que notre document permet de les aborder.
Au cours de l'automne 2001, la Fédération des femmes du Québec organisera une tournée des régions et
organismes nationaux pour débattre du présent document avec le mouvement des femmes. Suite à
cette tournée, le conseil d'administration élaborera des recommandations qui seront soumises
à l'assemblée générale 2002. Ces recommandations pourront être incluses en tout
ou en partie dans la plate-forme politique que la FFQ veut se donner.
La tournée ne prétend donc pas amener les groupes à des positions définitives sur toute la
question mais bien amorcer un débat qui devra conduire le mouvement des femmes du Québec
à prendre certaines positions d'action.
Bonne lecture et bonnes discussions.
Le comité de réflexion de la FFQ sur le travail du sexe et la prostitution, en date du 1er juin 2001 :
Suzanne Biron, membre individuelle de la FFQ
Mireille Brais, le Cran des femmes
Ghislaine Cournoyer, membre du C.A. de la FFQ
Françoise David, présidente de la FFQ
Lucie Girard, membre du C.A. de la FFQ
Nicole Kennedy, ex-travailleuse du Centre d'éducation et d'action des femmes de Montréal
Claire Thiboutot, Stella
I N T R O D U C T I O N
Bien que la question de la prostitution et du travail du sexe soit posée depuis près d'un siècle,
celle-ci est devenue une priorité pour le mouvement international des femmes depuis Beijing
puisqu'elle est considérée comme un enjeu majeur pour le respect des droits des femmes. Dans
le contexte de la libéralisation des marchés, l'industrie du sexe s'est considérablement développée.
Aucun pays n'aurait échappé au développement phénoménal de cette industrie qui rapporterait près
de 52 milliards par année. Et selon des études de l'ONU, ce phénomène toucherait largement les
femmes issues des pays les plus pauvres.
Au Québec, le mouvement des femmes se sent particulièrement interpellé par cette question du fait
qu'elle a constitué l'une des revendications de la Marche mondiale des femmes à la fois au
niveau international et national. Même si les deux revendications ont reçu une
large adhésion, elles n'ont pas fait l'unanimité. En effet, le sujet suscite la controverse.
Deux visions s'affrontent et divisent les féministes, ici comme ailleurs. Voyons de quelle façon
ces tendances s'expriment dans le mouvement des femmes et comment elles sont à l'origine de
notre comité de travail.
D E U X V I S I O N S
Volet international
À l'automne 1998, lors de la première rencontre internationale de préparation de la
Marche mondiale des femmes, 140 déléguées venant de 65 pays chargées d'élaborer une plate-forme commune font
consensus, au chapitre de la violence, sur la revendication suivante :
Que la Convention de 1949 pour la répression et l'abolition de la traite des êtres humains et de
l'exploitation de la prostitution d'autrui soit assortie d'un mécanisme d'application qui tienne
compte des documents récents dont les deux résolutions de l'assemblée générale de l'ONU (1996)
concernant le trafic des femmes et des fillettes et la violence à l'égard des femmes migrantes. (V6)
Par la suite, la revendication suscite des
réactions. En présence : deux grandes coalitions
internationales qui vont représenter des visions opposées. D'un côté, la
Global Alliance Against Traffic in Women (GAATW)
qui fait parvenir une lettre à plusieurs groupes les enjoignant de retirer leur appui à la revendication V6. Son argument est à l'effet que
la Convention de 1949 n'est pas un bon instrument pour s'attaquer au trafic des femmes et des enfants.
Elle considère entre autres que cette Convention ne comporte aucune définition du trafic, ne fait pas
de distinction entre trafic et prostitution et ne tient pas compte de la position des femmes en tant
que travailleuses et migrantes. De l'autre, la Coalition Against Trafficking in Women (CATW)
qui appuie la Convention de 1949 avec l'ajout d'un protocole et de mécanismes de surveillance. Elle
croit que cette Convention est le seul instrument qui reconnaît le phénomène de la prostitution
comme étant un abus des droits humains et que c'est un acquis important pour les femmes.
Ces coalitions représentent donc les deux grands courants de pensée qui divisent actuellement
le mouvement international des femmes et qui traversent également le mouvement des femmes au Québec.
D'une part, il y a des féministes qui considèrent que la prostitution relève de l'exploitation sexuelle
des femmes et qu'elle constitue une violation des droits humains. Elles estiment que ce phénomène
représente l'une des expressions les plus fortes de l'oppression des femmes et de la violence
patriarcale. En conséquence, elles n'envisagent pas de solutions en dehors de l'élimination des
rapports de domination entre les hommes et les femmes. Elles sont contre la criminalisation des
prostituées et, à long terme, visent l'abolition de la prostitution.
D'autre part, il y a celles qui considèrent que le problème est l'illégitimité de la prostitution
comme travail. Pour ces féministes, la stigmatisation et la criminalisation des travailleuses du
sexe et de l'industrie est à la source des violations des droits des femmes prostituées et des
violences qu'elles subissent. Pour elles, la solution est du côté de la décriminalisation totale
de l'industrie du sexe et la reconnaissance de la prostitution comme travail légitime. Celles-ci
ont au coeur de leur analyse la capacité d'action et d'auto-organisation des travailleuses du sexe.
Elles proposent d'utiliser les lois existantes en matière de travail et de violence pour contrer les
abus, les fraudes et les diverses formes de violence que subissent ces travailleuses.
Pour les deux courants de pensée, les solutions à la stigmatisation et à la violence que vivent les
femmes prostituées se situent dans un contexte de lutte pour l'égalité de toutes les femmes.
Même le langage rend compte de ces divergences. En effet, les mots ont une signification importante
parce qu'ils décrivent la façon dont nous concevons la chose. Le terme "prostitution" évoque
l'exploitation sexuelle des femmes alors que le terme "travail du sexe" fait référence à une
activité économique qui, tout en reconnaissant l'existence de la violence et de l'exploitation
à l'intérieur de l'industrie du sexe, situe le débat dans le domaine des droits des travailleuses.
Dans le présent document, nous emploierons les deux termes en respectant le choix de chacune quant
à cette question.
Malgré le fait que les débats soient toujours polarisés, le GAATW et la CATW ont participé à Genève,
en 1999, à un groupe de travail mis sur pied par l'ONU sur les formes contemporaines de l'esclavage.
Au-delà de leurs divergences, les représentantes de ces coalitions ont réussi à faire consensus sur
un certain nombre de points notamment en ce qui a trait à la décriminalisation des femmes trafiquées
et prostituées. Mais le mouvement des femmes doit poursuivre la réflexion et développer des actions
qui protégeront véritablement les femmes concernées.
Volet national
À l'automne 1999, la Coalition nationale des femmes contre la pauvreté et la violence faite aux
femmes adoptait vingt revendications pour la Marche mondiale des femmes,
volet québécois.
L'une de ces
revendications portait sur le travail du sexe. Il s'agissait d'une revendication large
portant sur le respect des droits et de la dignité des travailleuses du sexe notamment dans leurs
rapports avec la police et les services sociaux et de santé.
Une brève consultation avait précédé cette décision. Le comité, spécialement chargé des revendications
concernant la violence, avait produit un document de réflexion sur le sujet, document qui proposait
la décriminalisation et la déjudiciarisation du travail du sexe. La question souleva beaucoup de
débats et ne fit pas l'unanimité. Toutefois, un consensus s'est dégagé et les déléguées ont appuyé,
par un vote majoritaire, la résolution suivante :
L'élimination de la discrimination et de la violence à l'égard des travailleuses du sexe notamment
dans leurs rapports aux services sociaux, judiciaires, policiers et de santé.
La Coalition a aussi adopté une seconde résolution qui allait dans le sens de poursuivre la réflexion,
demandant à la Fédération des femmes du Québec d'en prendre la responsabilité. Un comité de travail,
composé de sept personnes, fut mis sur pied sous la responsabilité de la présidente. Ce comité a
reçu du conseil d'administration de la FFQ le mandat suivant : effectuer les réflexions et les
travaux nécessaires à la production d'un document servant de base à l'organisation d'une tournée
dans toutes les régions du Québec. Le document devait contenir des propositions à être discutées
par les membres de la FFQ. Suite à la tournée, le conseil d'administration devrait apporter des
propositions à l'assemblée générale du printemps 2002.
T R A V A U X D U C O M I T É
C'est donc avec ce mandat en poche que le comité a commencé ses travaux en faisant appel, à quelques
reprises, à des ressources extérieures :
- Lise Cadieux, directrice de Passages, organisme qui offre hébergement et soutien aux jeunes femmes en difficulté;
- Léonie Couture, coordonnatrice de la Rue des femmes, organisme qui vient en aide aux femmes itinérantes;
- Jocelyne Lamoureux, professeure en animation culturelle au département de sociologie de l'UQAM et membre du C.A. de l'organisme Stella.
Les rencontres se sont déroulées dans un climat serein où les débats, nombreux, n'ont pas empêché
l'écoute et le respect mutuel. Plusieurs questions n'étaient pas faciles et ont soulevé beaucoup
de discussions : le travail du sexe, un métier comme un autre; le trafic sexuel des femmes et des
fillettes dans un contexte de mondialisation; la prostitution et les lois; la protection des
travailleuses du sexe face à l'exploitation et la violence; les différents courants féministes
sur la sexualité; la responsabilité et les besoins des hommes "clients" dans cette industrie...
Le comité n'a pas résolu, loin de là, tous les aspects que la question de la prostitution et du
travail du sexe soulève, chez-nous comme partout dans le monde. La question est vaste et complexe.
Cependant, nous avons mis l'accent sur les recommandations qui faisaient consensus parce que nous
reconnaissions l'urgence d'agir. Nous considérons que le débat n'est pas terminé
et que le présent document ainsi que la tournée de consultation auquel il va donner lieu
ne sont qu'une étape dans une réflexion à long terme, qui concerne non seulement
le mouvement des femmes mais toute la société québécoise.
Vous constaterez, en lisant la section sur les recommandations, que nous sommes arrivées à
un consensus solide sur la décriminalisation des activités exercées par les prostituées et les
travailleuses du sexe. La décriminalisation des activités pratiquées par les clients des
travailleuses du sexe a fait l'objet d'un accord majoritaire. Par contre, nous n'avons pas
fait consensus sur la question du proxénétisme. Nous demeurons extrêmement préoccupées par la
question de la prostitution des adolescentes et des fillettes et, à ce sujet, nous ne tolérerons
aucun compromis. Nous constatons aussi que pour plusieurs travailleuses du sexe, les activités
qu'elles pratiquent et les services qu'elles vendent contre rémunération leur apparaissent comme
un travail. Nous leur reconnaissons la liberté de choix qu'elles revendiquent comme nous le
reconnaissons pour l'ensemble des femmes.
Les travaux du comité ont été traversés par les tendances que nous venons d'évoquer et qui sont
présentées dans les deux textes d'analyse. Cependant, dans ce débat, les membres du comité sont
demeurées vigilantes et se sont bien gardées de porter des jugements sur l'une ou l'autre des
positions défendues. Nous vous invitons à faire preuve de la même vigilance dans les discussions
qui entoureront cette question.
Pour celles qui favorisent l'abolition de la prostitution, qu'il suffise de rappeler que cette
position trouve des alliés au sein de la droite politique et religieuse. Quant à celles qui
défendent que le travail du sexe est un travail légitime, elles courent le risque de cautionner
l'existence d'une industrie mondiale qui fait des milliards sur le dos des femmes. Comme on le
voit des jugements à l'emporte-pièce fausseront le débat et pourront porter un coup fatal à
la solidarité dont nous avons grand besoin pour que le mouvement des femmes ne soit pas divisé
au sortir des discussions.
N É C E S S I T É D' A G I R
Au cours de nos travaux, des événements sont venus troubler notre quiétude et nous rendre encore
plus conscientes de la nécessité d'intervenir rapidement. Un projet visant à développer une
alternative à la judiciarisation des prostituées dans le quartier Centre-sud de Montréal a été
fort mal accueilli par une proportion importante des résidents-es du quartier. Des consultations
publiques, organisées par la Ville de Montréal en mars 1999, ont très mal tourné. Des gestes de
violence ont été posés à l'endroit des groupes qui défendent les prostituées mais aussi à l'endroit
des "marginaux" du bas de la ville. Le projet a dû être abandonné.
Le comité a consacré toute une rencontre pour tenter de comprendre ce qui s'était
passé et à prévoir une réaction publique dans le cas où les choses s'envenimeraient. Des femmes, résidentes
de Centre-sud, ont lancé un appel au calme et au dialogue lors d'une conférence de presse
qu'elles ont tenue en juin. Finalement, en août, la FFQ a participé à une
conférence de presse organisée par l'organisme Stella, en vue de dénoncer une recrudescence de la violence à l'endroit
des prostituées.
Quoique nous pensions de la prostitution ou de l'industrie du sexe, les femmes qui se trouvent dans
ce milieu comptent sur le respect, la compréhension et la solidarité des féministes. Nous ajoutons
que notre solidarité doit s'exprimer d'une façon particulière du fait de l'extrême mépris et de
la discrimination dont elles sont l'objet. Il y a maintenant plusieurs années, en effet, que
la Fédération s'est donné comme priorité de défendre les femmes pauvres et les plus marginalisées.