RAPPORT DU COMITÉ DE RÉFLEXION SUR LA PROSTITUTION
ET LE TRAVAIL DU SEXE
Document de travail préparatoire à la tournée provinciale de l'automne 2001
Fédération des femmes du Québec, août 2001
ANNEXES
Code criminel du Canada
Quelques définitions
R E C O M M A N D A T I O N S
Rappelons d'abord que toutes les perspectives féministes, indépendamment de leurs
désaccords par ailleurs, s'entendent sur certains enjeux : le désir des femmes de
reprendre en main et de contrôler leur sexualité, la lutte à poursuivre contre
l'exploitation sexuelle et toutes les formes de violence faites aux femmes, l'identification de
la domination patriarcale dans toutes les sphères de la vie et ses conséquences
pour les femmes et, finalement, le refus de punir et de châtier les femmes prostituées
ou travailleuses du sexe.
Ajoutons que nous sommes nombreuses à souhaiter ardemment de vrais débats sur les rapports affectifs et sexuels entre les hommes et les femmes et une redéfinition de ces rapports pour qu'ils soient fondés sur l'égalité et le respect mutuel tout en acceptant la pluralité des façons de les vivre. Ces débats, par ailleurs, ratissent bien plus large que la question du travail du sexe et concernent toute la société.
C'est en tablant sur ces convergences que le comité de réflexion sur le travail du sexe et la prostitution a pu en arriver aux recommandations qui suivent. Après un an de discussion, nous avons pu établir des consensus solides sur toutes les recommandations sauf celle qui porte sur la décriminalisation des clients qui fait l'objet d'un accord majoritaire. Nous avons tout de même décidé de vous les soumettre toutes car nous croyons que les débats sont nécessaires et que c'est ensemble que nous élaborerons des positions plus précises dans certains cas.
Nous souhaitons que ces recommandations soient largement débattues dans le mouvement des femmes. Des femmes, aujourd'hui même, sont stigmatisées et criminalisées à cause de leurs pratiques. Lors de la Marche mondiale des femmes, nous avons clairement pris position contre cette discrimination. Il nous incombe donc de poursuivre notre analyse tout en réclamant des pouvoirs publics des mesures concrètes pour mettre fin aux violences et aux discriminations vécues par ces femmes.
Dans cet esprit, nous vous présentons les recommandations suivantes, sachant qu'elles constituent autant de mesures ou d'actions à promouvoir dans l'immédiat.
- Nous réclamons de l'ensemble des pouvoirs publics et pour toutes les travailleuses
du sexe l'accès aux services sociaux, de santé,
judiciaires et policiers sans discrimination ni préjugés ainsi que des formations
spécifiques pour les intervenant-es des réseaux publics. Nous croyons aussi que toutes
les ressources mises sur pied par des féministes (centres de femmes, CALACS, maisons d'hébergement), devraient être en mesure
d'offrir aux femmes qui vivent de la prostitution les services et le soutien dont elles peuvent
avoir besoin.
- Nous réclamons de l'État québécois que dans la campagne de
sensibilisation sur la violence faite aux femmes, promise lors de la Marche mondiale des femmes,
une place soit faite à la problématique du travail du sexe et de la prostitution.
Il est plus que temps de lutter contre les préjugés, la discrimination et la violence dont
les femmes sont victimes. Nous demandons aussi que soit mis sur pied le comité intersectoriel
promis par le gouvernement.
- Nous réclamons unanimement du gouvernement fédéral la
décriminalisation des pratiques exercées par les prostituées et les
travailleuses du sexe.
En effet, quelle que soit notre opinion ou position politique sur l'ensemble de la question, nous sommes
convaincues que la criminalisation des prostituées, danseuses, téléphonistes
érotiques, escortes, etc., a comme conséquence une marginalisation accrue et diverses
formes de discrimination à l'endroit des femmes dans l'industrie.
- Nous réclamons majoritairement du gouvernement fédéral la
décriminalisation des activités pratiquées par les clients des travailleuses
du sexe.
De l'avis de plusieurs, ces activités ne constituent pas des actes criminels méritant
des sanctions judiciaires et nous notons que la criminalisation des clients n'a pas fait la preuve
de son efficacité au regard de l'objectif de l'élimination de la prostitution. Les
cas d'abus, d'extorsion ou de violence doivent être traités comme tous les cas de
violence faite aux femmes et sanctionnés par la loi. Nous maintenons pas ailleurs notre
opposition à l'utilisation de mineures-rs pour des activités sexuelles contre
rétribution. Ces pratiques relèvent de l'abus sexuel et doivent être
réprimés par la loi. Par contre, celles qui souhaitent le maintien de la
criminalisation des clients invoquent la nécessité de trouver des moyens
de dissuasion pour en arriver à l'élimination de la demande en matière
de services sexuels contre rémunération.
- Nous proposons qu'une consultation publique soit organisée par le gouvernement
fédéral sur tous
les articles du Code Criminel qui touchent le travail du sexe et la prostitution.
Nous pensons qu'un travail sérieux s'impose pour reviser le code criminel canadien et nous
assurer qu'il respecte les droits et liberté des femmes et leur droit à la
sécurité. Les travailleuses du sexe et les groupes de femmes doivent être
associés à cette consultation.
- Nous réclamons des gouvernements fédéral et provincial la
révision de l'ensemble des lois ayant trait à la violence faite aux femmes et
de leur mise en application afin d'assurer aux femmes le respect de leur droit à
l'égalité, la sécurité, la dignité et la protection de
leur vie privée.
Cette revendication portée par la Marche mondiale des femmes au Québec s'applique
aussi aux travailleuses du sexe qui sont souvent discriminées lorsqu'elles portent plainte
dans des cas de violence et d'agressions sexuelles.
- Nous réclamons le droit pour toutes les prostituées et travailleuses du sexe
de s'organiser afin de défendre leurs droits et d'obtenir un financement des gouvernements
fédéral et provincial pour les organismes qui les représentent.
- Puisque nous défendons la liberté pour toutes les femmes de voyager, de se
déplacer et d'émigrer, nous revendiquons du gouvernement canadien et de tous les
gouvernements de la planète :
Que les femmes trafiquées puissent recevoir un statut de réfugiées ou la possibilité de retourner dans leur pays si elles le souhaitent.
Que le passé sexuel d'une femme, le fait de pratiquer ou d'avoir pratiqué la
prostitution ou le travail du sexe, son statut d'immigrante illégale ou d'apatride ne
puissent être utilisés contre elle par les autorités étatiques,
policières et juridiques.
A N N E X E I : C O D E C R I M I N E L D U C A N A D A
Articles concernant la prostitution
Tenue d'une maison de débauche
210. (1) Est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de deux ans quiconque tient une maison de débauche.
Propriétaire, habitant, etc.
(2) Est coupable d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire
quiconque, selon le cas :
a) habite une maison de débauche;
b) est trouvé, sans excuse légitime, dans une maison de débauche;
c) en qualité de propriétaire, locateur, occupant, locataire, agent ou ayant autrement la charge ou
le contrôle d'un local, permet sciemment que ce local ou une partie du local soit loué ou employé
aux fins de maison de débauche.
Le propriétaire doit être avisé de la déclaration de culpabilité
(3) Lorsqu'une personne est déclarée coupable d'une infraction visée au paragraphe (1), le tribunal
fait signifier un avis de la déclaration de culpabilité au propriétaire ou locateur du lieu à l'égard
duquel la personne est déclarée coupable, ou à son agent, et l'avis doit contenir une déclaration
portant qu'il est signifié selon le présent article.
Devoir du propriétaire sur réception de l'avis
(4) Lorsqu'une personne à laquelle un avis est signifié en vertu du paragraphe (3) n'exerce pas
immédiatement tout droit qu'elle peut avoir de résilier la location ou de mettre fin au droit
d'occupation que possède la personne ainsi déclarée coupable, et que, par la suite, un individu
est déclaré coupable d'une infraction visée au paragraphe (1) à l'égard du même local, la personne
à qui l'avis a été signifié est censée avoir commis une infraction visée au paragraphe (1), à moins
qu'elle ne prouve qu'elle a pris toutes les mesures raisonnables pour empêcher le renouvellement de
l'infraction.
S.R., ch. C-34, art. 193.
Transport de personnes à des maisons de débauche
211. Est coupable d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire quiconque, sciemment, mène ou transporte ou offre de mener ou de transporter une autre personne à une maison de débauche, ou dirige ou offre de diriger une autre personne vers une maison de débauche.
S.R., ch. C-34, art. 194.
Entremetteurs
Proxénétisme
212. (1) Est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de dix ans quiconque,
selon le cas :
a) induit, tente d'induire ou sollicite une personne à avoir des rapports sexuels illicites avec une
autre personne, soit au Canada, soit à l'étranger;
b) attire ou entraîne une personne qui n'est pas prostituée vers une maison de débauche aux fins
de rapports sexuels illicites ou de prostitution;
c) sciemment cache une personne dans une maison de débauche;
d) induit ou tente d'induire une personne à se prostituer, soit au Canada, soit à l'étranger;
e) induit ou tente d'induire une personne à abandonner son lieu ordinaire de résidence au Canada,
lorsque ce lieu n'est pas une maison de débauche, avec l'intention de lui faire habiter une maison
de débauche ou pour qu'elle fréquente une maison de débauche, au Canada ou à l'étranger;
f) à l'arrivée d'une personne au Canada, la dirige ou la fait diriger vers une maison de débauche,
l'y amène ou l'y fait conduire;
g) induit une personne à venir au Canada ou à quitter le Canada pour se livrer à la prostitution;
h) aux fins de lucre, exerce un contrôle, une direction ou une influence sur les mouvements d'une
personne de façon à démontrer qu'il l'aide, l'encourage ou la force à s'adonner ou à se livrer à
la prostitution avec une personne en particulier ou d'une manière générale;
i) applique ou administre, ou fait prendre, à une personne, toute drogue, liqueur enivrante,
matière ou chose, avec l'intention de la stupéfier ou de la subjuguer de manière à permettre
à quelqu'un d'avoir avec elle des rapports sexuels illicites;
j) vit entièrement ou en partie des produits de la prostitution d'une autre personne.
Idem
(2) Par dérogation à l'alinéa (1)j), est coupable d'un acte criminel et passible
d'un emprisonnement maximal de quatorze ans quiconque vit entièrement ou en partie des produits
de la prostitution d'une autre personne âgée de moins de dix-huit ans.
Infraction grave - vivre des produits de la prostitution d'une personne âgée de moins de dix-huit ans.
(2.1) Par dérogation à l'alinéa (1)j) et au paragraphe (2), est coupable d'un acte criminel et passible
d'un emprisonnement minimal de cinq ans et maximal de quatorze ans quiconque vit entièrement ou en
partie des produits de la prostitution d'une autre personne âgée de moins de dix-huit ans si,
à la fois :
a) aux fins de profit, il l'aide, l'encourage ou la force à s'adonner ou à se livrer à la prostitution
avec une personne en particulier ou d'une manière générale, ou lui conseille de le faire;
b) il use de violence envers elle, l'intimide ou la contraint, ou tente ou menace de le faire.
Présomption
(3) Pour l'application de l'alinéa (1)j) et des paragraphes (2) et (2.1), la preuve qu'une personne
vit ou se trouve habituellement en compagnie d'un prostitué ou vit dans une maison de débauche
constitue, sauf preuve contraire, la preuve qu'elle vit des produits de la prostitution.
Infraction concernant la prostitution d'une personne âgée de moins de dix-huit ans
(4) Est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de cinq ans quiconque,
en quelque endroit que ce soit, obtient ou tente d'obtenir, moyennant rétribution, les services
sexuels d'une personne qui est âgée de moins de dix-huit ans ou qu'il croit telle.
Présomption
(5) Pour l'application du paragraphe (4), la preuve que la personne de qui l'accusé a obtenu des
services sexuels ou a tenté d'en obtenir lui a été présentée comme ayant moins de dix-huit ans
constitue, sauf preuve contraire, la preuve que l'accusé croyait, au moment de l'infraction
présumée, qu'elle avait moins de dix-huit ans.
L.R. (1985), ch. C-46, art. 212; L.R. (1985), ch. 19 (3e suppl.), art. 9; 1997, ch. 16, art. 2.
Infraction se rattachant à la prostitution
213. (1) Est coupable d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire quiconque, dans un endroit soit public soit situé à la vue du public et dans le but de se livrer à la prostitution ou de retenir les services sexuels d'une personne qui s'y livre :
a) soit arrête ou tente d'arrêter un véhicule à moteur;
b) soit gêne la circulation des piétons ou des véhicules, ou l'entrée ou la sortie d'un lieu contigu
à cet endroit;
c) soit arrête ou tente d'arrêter une personne ou, de quelque manière que ce soit, communique ou tente de communiquer avec elle.
Définition de "endroit public"
(2) Au présent article, "endroit public" s'entend notamment de tout lieu auquel le public a accès
de droit ou sur invitation, expresse ou implicite; y est assimilé tout véhicule à moteur situé dans
un endroit soit public soit situé à la vue du public.
L.R. (1985), ch. C-46, art. 213; L.R. (1985), ch. 51 (1er suppl.), art. 1.
A N N E X E II : Q U E L Q U E S D É F I N I T I O N S
La décriminalisation signifie le retrait des articles 210-213 du Code criminel
(ceux concernant le travail du sexe). Des groupes féministes comme le Comité
canadien d'action sur le statut des femmes et la
Société Élizabeth Fry ont pris position en faveur de la décriminalisation des travailleuses du sexe. Il s'agit, pour ces groupes, d'un moyen de protéger les travailleuses du sexe contre l'emprisonnement, la pauvreté accrue et la marginalisation. De plus, si les travailleuses du sexe ne couraient aucun risque d'accusation criminelle, elles seraient davantage portées à dénoncer la violence exercée contre elles par les clients, la police ou les conjoints.
La légalisation du travail du sexe signifie la réglementation ou la
régulation. Ce système se caractérise souvent par l'enregistrement des
travailleuses du sexe auprès du service de police, l'obligation d'exercer leur travail
avec un permis et un contrôle médical obligatoire. La légalisation est
contrôlée par l'État. En terme concret, elle prend la forme de "maisons
de prostitution" ou de quartiers réservés du type "red light". Cette approche considère le travail du sexe comme un mal nécessaire, une nécessité sociale.
La plupart des groupes de défense des travailleuses du sexe sont farouchement opposés
à la légalisation. Ils craignent notamment la création d'un double standard : d'un côté les travailleuses du sexe légales munies d'un permis émis par le gouvernement et, de l'autre, celles qui ne se conforment pas aux règles et qui pratiquent leur travail dans la marginalité, aggravant ainsi leur vulnérabilité.
Toujours selon ces groupes, la légalisation pourrait aussi amener l'État à devenir une sorte de proxénète (pimp) qui contrôle les maisons de prostitution ou encore, tire profit des bénéfices du travail sexuel.
La déjudiciarisation signifie pour l'État de lancer le mot d'ordre aux corps policiers et aux municipalités de ne pas harceler les travailleuses du sexe au nom du Code de la route ou d'autres lois et règlements.