L ' A R G U M E N T   C U L T U R E L 12-02

par Brigitte Verdière


Ta bouche, fondamentale contre les fondamentalismes. Articulación Feminista Marco Sur, Forum social mondial 2002 La nouvelle vient de l'État du Punjab au Pakistan. J'avoue que je ne sais pas trop comment y réagir. Que je vous conte, au cas où vous ne l'auriez pas lue. Première étape : un garçon de 12 ans s'amourache d'une autre gamine. L'ennui, c'est qu'elle n'appartient pas au même milieu que lui. Elle fait partie de la superbe tribu des Mastoi, considérée comme supérieure. Donc, le conseil tribal des Mastoi décide de sévir.

D'abord, il fait sodomiser le jeune garçon (par qui et comment, l'histoire ne le dit pas). Ensuite, il condamne sa soeur, âgée de 18 ans, à être violée. Collectivement. Par quatre hommes. Qui l'ont ensuite conduite nue dans tout le village. Quelles moeurs charmantes, n'est-ce pas? Le plus grave, c'est que ni la police ni aucun villageois n'a réagi.

Et dire que de plus en plus de pays tentent, dans les réunions internationales, d'introduire l'exception culturelle dans les textes comme marque de respect de leur diversité. Bien entendu, il s'agit toujours, in fine, de mieux opprimer les hommes et les femmes. Particulièrement les femmes. Il y a ainsi un vaste mouvement de remise en cause des préceptes onusiens, catalogués d'occidentaux. Les Asiatiques ont donné le ton, au début des années 1990. Il s'agissait alors pour eux de ne pas démocratiser les régimes en place dans leurs pays afin, surtout, de ne pas appliquer les lois internationales du travail. Cela allait, disaient-ils, faire effondrer le bel envol économique qu'ils connaissaient alors. Le système s'est mordu la queue lui-même, victime de "bulles spéculatives". L'argument culturel est resté.

Il est de plus en plus utilisé contre le respect du droit des femmes à décider elles-mêmes de leur santé sexuelle et génésique. Il sert à les enfermer dans des modèles archaïques de femmes dépendantes du système mis en place par les hommes. Vous n'aviez pas compris, c'est de la diversité culturelle! Alors les crimes d'honneur (en Jordanie, au Pakistan...), les lapidations (en Iran, au Nigéria...), les flagellations de femmes soupçonnées d'adultère (au Soudan notamment), les attaques à l'acide (au Bengladesh, au Cambodge...), l'asservissement des filles et des femmes (au Ghana...), les mariages précoces (en Éthiopie...), les jugements inéquitables (en Haïti...) seraient des valeurs culturelles. Et j'imagine que les viols des otages bosniaques et des femmes emprisonnées dans des tas de pays du monde, l'impossibilité pour les femmes d'hériter de la terre (en Amérique latine, en Afrique, en Asie), les insultes sexistes en France, la violence conjugale contre laquelle le Parti populaire alors au pouvoir en Espagne décidait de ne pas légiférer, sont aussi de beaux exemples de la culture de ces pays.

Il y a cent ans, dans les récits de voyage, les auteurs parlaient de sauvages. Aujourd'hui, ce n'est plus politiquement correct. Alors, je vais dire barbare. La barbarie avec visage humain. La barbarie à l'état pur. Et je suis encore sous le choc du rapport sur les exactions commises en République démocratique du Congo dans la région des Grands lacs africains.

Il y a trente ans, quand quelques femmes blanches ont dénoncé les mutilations génitales en Afrique (dont au Kenya), plusieurs polémistes ont sorti le drapeau de la diversité culturelle. Aujourd'hui, ce sont les Africaines elles-mêmes qui se mobilisent pour dénoncer ces pratiques et exiger l'application des lois qui les condamnent dans les pays où elles existent.

En Inde, d'autres femmes dénoncent la pratique de la dot ou encore celle d'exclure les veuves de la société, de les obliger à passer toute leur vie comme des nonnes alors que ce sont souvent de toutes jeunes filles, mariées contre leur gré à un vieux barbon qui a eu la bonne idée de décéder.

Et que l'on ne m'accuse pas de me réjouir de la mort de certains. Que l'on ne m'accuse pas d'avoir une vision étroite de ce qu'est la culture. Je refuse ce débat. D'abord, parce que je ne voudrais surtout pas laisser passer une faille dans mon discours qui puisse être exploitée contre moi. Aussi, parce que cet argument est trop facile.

"Toi, tu es occidentale, tu ne comprends rien à nos coutumes, alors, tais-toi", ai-je souvent entendu d'amis étrangers. Je pense que je vais admettre le "tu ne comprends rien" parce que, oui, invoquer la culture pour justifier l'oppression des femmes me dépasse littéralement. Mais je n'admettrai jamais le "tais-toi". C'est probablement tout ce que je peux faire, ne pas me taire. Dire et dire encore ce qui est horrible, ce que rien ne justifie. Quand l'intégrité du corps et de l'esprit humains sont mis à mal, il n'y a aucune excuse, aucune justification qui tiennent.

Demandez à Amina, às; Jamila, à Katia, à Anida, à toutes ces femmes et ces filles qui ne sont que des prénoms, que nous ne connaissons pas personnellement mais dont le sort nous touche. Et soutenons toutes celles, si nombreuses, qui se lèvent, se battent et crient haut et fort que oui, leur culture est riche, qu'il n'y a pas que les valeurs occidentales qui valent quelque chose - et nous sommes tellement d'accord avec elles! - mais qu'il y a des pratiques qu'il faut dénoncer. Car elles mènent inéluctablement à la mort, à la mutilation et à l'asservissement des filles et des femmes.




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Garantir les libertés individuelles

L'évolution de la législation internationale relative aux droits humains a été marquée par une séparation entre les droits civils et politiques, d'une part, et les droits économiques, sociaux et culturels, d'autre part. Dès lors que le débat sur les libertés se déroule de plus en plus dans la sphère économique, il est essentiel de s'attaquer à ce déséquilibre.

De plus, l'interprétation de la législation internationale établit une distinction entre les sphères dites publiques et privées des sociétés. Cette distinction a conduit à ne tenir les États pour responsables que des exactions commises dans le cadre de la sphère publique. En conséquence, les violations des droits des femmes n'ont suscité qu'une attention insuffisante. L'interprétation du droit à ne pas être torturée a ainsi laissé de côté la violence à l'égard des femmes au sein de la famille et dans la communauté au nom de valeurs "culturelles" fondées sur des relations de domination et d'inégalité.

Page reliée : La citoyenneté économique des femmes: un enjeu non-résolu pour les démocraties libérales, une entrevue de WHRnet avec Irene Brenes, 11-03

Amnistie internationale

La section belge d'Amnistie internationale (AI) publie une carte du monde des violations des droits des femmes. Une cinquantaine de pays sont répertoriés dans les différents continents : tortures, viols, mauvais traitements en prison, crimes d'honneur... Ce site reprend des extraits des rapports de l'ONG et propose des informations actualisées et des actions urgentes.

AI défend les droits de la personne dans le monde entier. Sa réputation est impeccable. L'ONG refuse les subventions gouvernementales et contrôle son information en recoupant plusieurs sources. Chaque mois, Amnistie propose trois cas de personnes originaires de continents différents.




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Édition Web et mise en ligne : Nicole Nepton