par Brigitte Verdière
La nouvelle vient de l'État du Punjab au Pakistan.
J'avoue que je ne sais pas trop comment y réagir. Que je vous conte, au cas où vous ne l'auriez pas lue. Première étape :
un garçon de 12 ans s'amourache d'une autre gamine. L'ennui, c'est qu'elle n'appartient pas au même
milieu que lui. Elle fait partie de la superbe tribu des Mastoi, considérée comme supérieure. Donc,
le conseil tribal des Mastoi décide de sévir.
D'abord, il fait sodomiser le jeune garçon (par qui et comment, l'histoire ne le dit pas). Ensuite,
il condamne sa soeur, âgée de 18 ans, à être violée. Collectivement. Par quatre hommes. Qui l'ont
ensuite conduite nue dans tout le village. Quelles moeurs charmantes, n'est-ce pas? Le plus grave,
c'est que ni la police ni aucun villageois n'a réagi.
Et dire que de plus en plus de pays tentent, dans les réunions internationales, d'introduire l'exception
culturelle dans les textes comme marque de respect de leur diversité. Bien entendu, il s'agit
toujours, in fine, de mieux opprimer les hommes et les femmes. Particulièrement les femmes. Il y a
ainsi un vaste mouvement de remise en cause des préceptes onusiens, catalogués d'occidentaux.
Les Asiatiques ont donné le ton, au début des années 1990. Il s'agissait alors pour eux de ne pas
démocratiser les régimes en place dans leurs pays afin, surtout, de ne pas appliquer les lois
internationales du travail. Cela allait, disaient-ils, faire effondrer le bel envol économique
qu'ils connaissaient alors. Le système s'est mordu la queue lui-même, victime de "bulles spéculatives".
L'argument culturel est resté.
Il est de plus en plus utilisé contre le respect du droit des femmes à décider elles-mêmes de leur
santé sexuelle et génésique. Il sert à les enfermer dans des modèles archaïques de femmes dépendantes
du système mis en place par les hommes. Vous n'aviez pas compris, c'est de la diversité culturelle!
Alors les crimes d'honneur (en Jordanie, au Pakistan...),
les lapidations (en Iran, au Nigéria...),
les flagellations de femmes soupçonnées d'adultère (au Soudan notamment),
les attaques à l'acide (au Bengladesh, au Cambodge...),
l'asservissement des filles et des femmes (au Ghana...),
les mariages précoces (en Éthiopie...),
les jugements inéquitables (en Haïti...) seraient des valeurs
culturelles. Et j'imagine que les viols des otages bosniaques et des femmes emprisonnées dans des
tas de pays du monde, l'impossibilité pour les femmes d'hériter de la terre
(en Amérique latine,
en Afrique, en Asie), les insultes sexistes en France,
la violence conjugale contre laquelle le Parti populaire alors au pouvoir en Espagne
décidait de ne pas légiférer, sont aussi de beaux exemples de la culture de ces pays.
Il y a cent ans, dans les récits de voyage, les auteurs parlaient de sauvages. Aujourd'hui, ce n'est
plus politiquement correct. Alors, je vais dire barbare. La barbarie avec visage humain. La barbarie
à l'état pur. Et je suis encore sous le choc du rapport sur les exactions commises en République
démocratique du Congo dans la région des Grands lacs africains.
Il y a trente ans, quand quelques femmes blanches ont dénoncé les
mutilations génitales
en Afrique (dont au Kenya),
plusieurs polémistes ont sorti le drapeau de la diversité culturelle. Aujourd'hui, ce sont les
Africaines elles-mêmes qui se mobilisent pour dénoncer ces pratiques et exiger l'application des
lois qui les condamnent dans les pays où elles existent.
En Inde, d'autres femmes dénoncent la pratique de la dot
ou encore celle d'exclure les veuves de la société, de les obliger à passer
toute leur vie comme des nonnes alors que ce sont souvent de toutes jeunes filles, mariées
contre leur gré à un vieux barbon qui a eu la bonne idée de décéder.
Et que l'on ne m'accuse pas de me réjouir de la mort de certains. Que l'on ne m'accuse pas d'avoir
une vision étroite de ce qu'est la culture. Je refuse ce débat. D'abord, parce que je ne voudrais
surtout pas laisser passer une faille dans mon discours qui puisse être exploitée contre moi.
Aussi, parce que cet argument est trop facile.
"Toi, tu es occidentale, tu ne comprends rien à nos coutumes, alors, tais-toi", ai-je souvent entendu
d'amis étrangers. Je pense que je vais admettre le "tu ne comprends rien" parce que, oui, invoquer
la culture pour justifier l'oppression des femmes me dépasse littéralement. Mais
je n'admettrai jamais le "tais-toi". C'est probablement tout ce que je peux faire, ne pas me taire. Dire et
dire encore ce qui est horrible, ce que rien ne justifie. Quand l'intégrité du corps et de l'esprit
humains sont mis à mal, il n'y a aucune excuse, aucune justification qui tiennent.
Demandez à Amina, às; Jamila, à Katia, à Anida,
à toutes ces femmes et ces filles qui ne sont que des prénoms, que nous ne connaissons pas
personnellement mais dont le sort nous touche. Et soutenons toutes celles, si nombreuses, qui
se lèvent, se battent et crient haut et fort que oui, leur culture est riche, qu'il n'y a pas
que les valeurs occidentales qui valent quelque chose - et nous sommes tellement d'accord avec elles! -
mais qu'il y a des pratiques qu'il faut dénoncer. Car elles mènent inéluctablement à la mort, à la
mutilation et à l'asservissement des filles et des femmes.